Banditisme en Haïti : le sabotage de l’agriculture, une stratégie de destruction économique
Depuis plus d’une décennie, la destruction de l’économie haïtienne, notamment du secteur agricole, s’est accentuée sous la pression d’une insécurité grandissante. Le pays, historiquement considéré comme une nation agricole, se trouve pris au piège d’une stratégie de contrôle territorial et d’effondrement économique menée par des groupes armés. Ces gangs, plus organisés que jamais, semblent orchestrer une destruction systématique des infrastructures clés d’Haïti, en particulier dans les régions agricoles.
En 2010, lors de son rôle en tant qu’envoyé spécial de l’ONU en Haïti, l’ancien président américain Bill Clinton avait reconnu publiquement une erreur historique. Il avait présenté des excuses pour avoir, durant son mandat, imposé une baisse des tarifs douaniers sur les importations de riz subventionné en provenance des États-Unis. Cette politique avait anéanti la production locale de riz, plongeant Haïti dans une dépendance quasi totale vis-à-vis des importations alimentaires. Les répercussions de cette décision continuent de marquer le pays, avec une agriculture affaiblie, incapable de répondre aux besoins de la population.
Aujourd’hui, cette tragédie semble se répéter sous une autre forme, cette fois à travers la terreur imposée par les gangs armés, qui sévissent principalement dans la vallée de l’Artibonite, la principale région rizicole du pays. La violence orchestrée dans cette zone stratégique soulève une question cruciale : est-ce une simple conséquence du chaos généralisé, ou une continuation de la politique visant à détruire la capacité d’Haïti à être autosuffisante ?
La Vallée de l’Artibonite : Le grenier du pays assiégé
La vallée de l’Artibonite est depuis longtemps considérée comme le “grenier d’Haïti”. Avec ses 28 000 hectares irrigués, elle représente la plus vaste zone rizicole du pays, concentrant plus de 50 % de la production nationale de riz. Pourtant, cette région, essentielle à l’économie agricole haïtienne, est aujourd’hui sous le contrôle de plusieurs gangs, dont les activités ont gravement compromis la production de riz. Les gangs chassent les paysans et, depuis plusieurs jours, les bandits du gang Gran Grif menacent de détruire le barrage des canaux qui alimente toute la vallée de l’Artibonite. Aucune mesure n’a été prise par les autorités pour empêcher les gangs de détruire ces infrastructures, alors que ces derniers exécutent souvent les menaces qu’ils profèrent. L’occupation de cette région, qui devrait être le moteur de l’autosuffisance alimentaire haïtienne, s’inscrit dans une volonté manifeste de paralyser le secteur agricole.
Des parallèles inquiétants avec la politique de Clinton
Le lien entre la politique de Bill Clinton et la situation actuelle en Haïti est troublant. Dans les deux cas, les actions menées aboutissent à un même résultat : l’anéantissement de la production locale de riz et la dépendance aux importations. La politique d’importation forcée de Clinton avait sapé les efforts des riziculteurs haïtiens, réduisant leur capacité à rivaliser avec le riz subventionné américain. Aujourd’hui, les gangs semblent jouer un rôle similaire en empêchant toute reprise de la production agricole dans la vallée de l’Artibonite.
Ces gangs ne se contentent pas de semer la terreur à travers des enlèvements, des viols et des meurtres. Ils ciblent délibérément des zones stratégiques pour bloquer l’agriculture, essentielle pour la subsistance de la population. Ces attaques ne sont pas de simples actes de violence : elles semblent faire partie d’une stratégie bien pensée pour démanteler l’économie agricole. Les gangs, loin d’être de simples acteurs de rue, adoptent des tactiques qui révèlent une maîtrise des enjeux stratégiques du pays.
Les axes stratégiques sous contrôle des gangs : vers une paralysie totale
D’un point de vue stratégique, les gangs appliquent un quadrillage du territoire qui semble viser l’étouffement total de l’économie haïtienne. Ils ne se contentent pas de semer la terreur dans les zones agricoles ; ils appliquent une stratégie visant à isoler le pays de ses principaux centres de production et de transit. L’entrée sud de la capitale est bloquée par les gangs dirigés par Izo et ses alliés, tandis que la Route Nationale numéro 1 est également coupée par le gang de Jeff Gwo Lwa, qui contrôle la zone de Canaan.
Tandis que les gangs Izo et Jeff Gwo Lwa bloquent leurs territoires respectifs, ils ont pris le contrôle de toute la zone de Carries, ce qui a mis fin à toutes les activités touristiques dans cette région. Toutes les plages sont fermées, et toutes les activités liées à la mer ont cessé. Ils cherchent à attaquer et prendre le contrôle de l’Arcahaie, une ville qui fournissait autrefois une grande quantité de bananes au pays. Cependant, bien avant les violences des gangs, la production de bananes avait déjà subi un fort déclin. De plus, le gang 400 Mawozo contrôle toute la plaine du Cul-de-Sac, une zone fertile qui, autrefois, servait de poumon agricole pour Port-au-Prince et ses environs.
Cette stratégie de contrôle des axes économiques et agricoles n’est pas le fait d’amateurs. Elle s’inscrit dans un plan bien rodé de démantèlement des structures économiques du pays, frappant au cœur même des ressources vitales d’Haïti. En détenant le contrôle des routes, les gangs orchestrent une véritable asphyxie économique qui empêche le pays de se relever.
Les conséquences : une crise alimentaire sans précédent
Les conséquences sont dramatiques : en bloquant les voies de communication essentielles, les gangs contrôlent non seulement le flux des personnes, mais aussi celui des denrées alimentaires. Dans ce contexte, l’économie agricole est en ruine, les récoltes pourrissent sur place, et l’insécurité alimentaire s’aggrave. Pendant ce temps, la FAO et le PAM annoncent qu’Haïti vient de franchir un nouveau seuil critique sur l’échelle de l’insécurité alimentaire. Le nombre de personnes confrontées à la faim aiguë atteint presque la moitié de la population, selon la dernière analyse du Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC). Alors que le pays continue de faire face à une crise sécuritaire, 5,4 millions d’Haïtiens luttent quotidiennement pour se nourrir, représentant l’une des proportions les plus élevées de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë dans une crise alimentaire mondiale.
Qui tire les ficelles ?
Une question brûle les lèvres de nombreux observateurs : qui se cache derrière ces gangs ? Bien qu’il soit difficile d’identifier avec certitude les commanditaires, une chose est certaine : ces groupes ne semblent pas travailler pour eux-mêmes. Le niveau d’organisation, la précision des attaques et la nature des cibles montrent que des intérêts supérieurs pourraient être en jeu. Il est inconcevable qu’une telle dévastation puisse se faire sans l’appui, implicite ou explicite, de puissants acteurs nationaux ou internationaux.
La destruction d’Haïti n’est pas un accident
La crise actuelle en Haïti n’est pas le fruit d’un enchaînement de mauvaises décisions ou d’une série de coïncidences tragiques. Il s’agit d’un recul orchestré à tous les niveaux. Tandis que la violence des gangs continue de ravager le pays, des questions cruciales restent sans réponse. Pourquoi un pays avec un potentiel agricole immense se retrouve-t-il pris au piège de la faim et de la violence ? Pourquoi l’État haïtien reste-t-il impuissant face à des groupes armés qui violent, tuent, kidnappent et détruisent la nation entière ?
La réalité est qu’Haïti est dans une guerre invisible, où les victimes ne sont pas seulement les vies perdues, mais aussi l’avenir même du pays. Si une réponse n’est pas rapidement trouvée, la question ne sera plus de savoir comment relancer l’agriculture haïtienne, mais s’il restera encore un pays à sauver.
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