Cité Soleil: des morts et des blessés, les bandits s’entretuent, le bidonville s’étrangle

Des affrontements sanglants ont fait au moins 6 morts à Cité Soleil, le mardi 26 mai. Le groupe armé dirigé par le nommé « Gabriel » s’opposait à celui de « Matyas » et de « Isca ». La bataille pour le contrôle des territoires se poursuit et prend une ampleur grandissante. Les habitants et les acteurs sociaux qui sont les principales victimes, appellent au secours.


La politique est à la base de ce conflit armé qui s’est amplifié depuis la mort de Jinel Louis alias « Ti Hougan », en novembre 2019. Selon Enock Joseph, notable de la zone, les groupes armés s’affrontent uniquement pour contrôler des blocs stratégiques, à l’approche des élections.

« Si les groupes armés de Boston, depuis le règne de Ti Hougan, prônaient la logique 50/50, c’est-à-dire chaque groupe aura un élu (députation ou municipales), la bande adverse dirigée par Gabriel parle de 0/100, c’est-à-dire (députation et municipales) en faveur d’un seul camp », explique le révérend Pasteur.

Enock Joseph souligne que ce qui s’est passé mardi à Cité Soleil, est la 2e tentative du groupe armé ayant à sa tête le nommé Gabriel, pour prendre le contrôle du quartier de Boston. Selon des informations recueillies par la rédaction d’Haïti Infos Pro, les hommes armés du groupe de Boston et de Belekou, dirigés respectivement par Matyas et Isca, ont bénéficié du renfort des gangs de Chancerelles et de Wharf Jérémie. Dans le camp en face, la troupe de Gabriel a eu le support des bandits armés de Pont-Rouge et de Fort Dimanche.

Ces affrontements armés inter-quartiers se sont soldés par la mort d’au moins 6 personnes et une dizaine de blessés par balles. « Neg anba touye yon bandi ak 2 sitwayen pezib nan zòn anwo, alòske nèg anwo bò kote pa yo touye 2 moun anba », a précisé Enock Joseph, qui parle de bilan provisoire. Sur la liste des blessés par balles, le nommé Coby, Chef de gang du quartier de Chancerelles, qui a été atteint d’un projectile au pied. À en croire Enock Joseph, ancien Chef de cabinet du Maire principal de Cité Soleil, l’objectif de la bande à Gabriel c’est d’avoir le contrôle de toute l’étendue de la commune.

« L’Etat ne peut rien faire dans cette situation. Il revient uniquement à la population, qui est d’ailleurs terrorisée, de se libérer de ce climat. Je ne peux pas demander à un homme qui a une arme de s’en défaire. Les armes sont considérées pour eux comme des outils de travail. Il y a de gros intérêts derrière ce qui se passe dans ce bidonville », a-t-il indiqué. M. Joseph appelle, en ce sens, les organisations de défense des droits humains à diligenter des enquêtes en vue de faire la lumière sur certains faits.

« Nous ne pouvons pas circuler. Je suis obligé de rester cloîtré chez moi », déclare un jeune de la commune, contacté par la rédaction d’Haïti Infos Pro. À en croire cet habitant de « Ti Ayiti », plusieurs personnes sont mortes suite aux affrontements armés. Entretemps, d’autres familles décident de vider les lieux, pour échapper à la violence. « Je ne peux pas continuer à vivre dans une telle situation. J’ai dû m’enfuir avec tous mes enfants », témoigne une mère. Jointe au téléphone par HIP, cette dame, l’air choquée, fustige le comportement des autorités étatiques qui, selon elle, n’ont rien fait pour éviter ces genres de conflits dans ce vaste bidonville.

L’amplification des conflits armés à Cité Soleil, une situation qui impacte négativement le fonctionnement des acteurs sociaux, qui ne cessent de multiplier les efforts pour vendre une autre image de ce quartier. Robillard Louino, co-initiateur du projet « Konbit Bibliyotèk Site Solèy », se dit déçu de constater la détérioration du climat sécuritaire dans sa commune. « Durant les 3 dernières années, Cité Soleil était vue autrement. Avèk sa kap pase la, tout sakrifis ki te fèt pou chanje imaj site a ap disparèt. Se kòmsi, chak fwa nou fè 10 pa an avan, nou fè 9 pa an aryè aprè chak gè », a déclaré le leader communautaire, qui dit toutefois ne pas vouloir abandonner sa lutte pour la paix.

Cette situation de terreur, à en croire M. Robillard, a un impact négatif sur le fonctionnement des citoyens, des actions sociales, mais aussi sur le commerce dans la commune. « Aujourd’hui, même les notables se sentent impuissants. Personnes ne peuvent s’immiscer dans cette affaire. Aucune entente n’est possible. Et cela fait peur », se plaint-il.

« Avek gwo kout zam kap tire nan site a, pwojè « Konbit Bibliyotèk Site Solèy » la pran gwo kou », avoue Louino Robillard, qui remercie quand même les donateurs. La voix remplie d’émotion, le leader social est convaincu que le changement doit passer par l’éducation. « Men pou yon moun kontinye kwè sitiyasyon an ka chanje, se sèl lafwa li ki ka pèmet li reflechi konsa. Sevre sitiyasyon an grav, li fè nou fatige, men ann pa bay tèt nou dwa sa pou nou dekouraje », a-t-il lancé. Parallèlement, Louino Robillard condamne le comportement jugé irresponsable des autorités gouvernementales qui, dit-il, n’ont rien fait pour résoudre le problème des gangs dans le pays.

Alors que les groupes armés s’entretuent et font des victimes au Pont-Rouge, Ruelles Deschamps, Dessalines, Chancerelles, le quartier voisin, Cité Soleil, lui aussi offre son spectacle digne d’un film hollywoodien et propose de nouvelles scènes de violence. Dans l’espace de 3 jours, au moins 12 morts par balles sont enregistrés dans ces différents quartiers. Les bidonvilles dangereux de Port-au-Prince deviennent de plus en plus invivables, la police est presqu’inexistante. Entretemps, les autorités centrales font preuve d’insouciance et s’accentuent uniquement sur la « gestion douteuse » du Coronavirus et l’organisation des prochaines élections.

HIP / Haïti Infos Pro

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