Éditorial: Ne fuyez pas ! Construisez !

Indépendance. Nous semblons avoir oublié que nous sommes un peuple d’Indépendants. « La ruée vers les passeports », née de l’annonce du Programme américain, donne à voir, à qui sait bien regarder, un peuple dépourvu de toute « Grandeur ». En vérité, nous semblons avoir oublié que notre Indépendance, gagnée au prix du sang de nos aïeux, est vieille de 219 ans. C’est un fait !

Aujourd’hui encore, très peu d’Haïtiens semblent avoir mesuré toute l’ampleur du risque qu’avaient pris Jean-Jacques Dessalines et toute l’armée indigène en opposant, l’âme pleine de colère, un ‘’NON’’ catégorique à l’esclavage, un refus éthique à la barbarie. Seulement une poignée d’Haïtiens sur les 12 millions qui occupent les 27 750 Km2 se rappellent encore, avec un brin de fierté, les prouesses et les actes élicites qui ont fait passer des Nègres de la condition inhumaine et morbide d’« Idiots utiles » au prestigieux statut de « Fondateurs de République ».

Notre méconnaissance et/ou ignorance de l’Histoire est telle que nos actions, grandes ou petites, individuelles ou collectives, ne sont jamais orientées par des Valeurs supérieures. Liberté, Égalité, Fraternité, l’« Union fait la force », « Vivre libre ou mourir », « Du sol soyons seuls maitres…». Ce ne sont là, aujourd’hui, que de simples slogans vidés de tout contenu. Hélas ! L’Haïtien s’interprète par le bas.

Au sommet comme au plus bas de l’échelle sociale, nous avons un goût marqué pour la bêtise. La bêtise et nous partageons le même lit, la même cuillère, les mêmes habits… Nous faisons corps avec la bêtise qui est l’âme de nos actions politiques, l’esprit de nos ‘’chansons’’, l’objet de nos désirs. Sous le règne de la bêtise qui, du moins en apparence, a encore de beaux jours devant elle, passe pour un fou, un ‘’anormal’’, celui qui ne s’en accommode pas, la dénonce et attire l’attention sur le fait qu’elle soit une maladie de la peau qui, insidieusement, se transforme en maladie du cœur.

S’il est vrai que, comme l’a dit Albert Camus, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent », s’il est vrai qu’ « il n’est pas assez de critiquer son temps, mais qu’il faut essayer de lui donner une forme et un avenir », notre tout premier grand devoir, au beau milieu de ce théâtre de la fuite à tout prix, consiste à fédérer nos énergies pour lutter et mettre fin à l’empire de la bêtise. Il n’y a pas de conformisme dans la bêtise qui ne soit un danger pour l’Avenir, un gage d’effondrement.

Voilà 219 ans depuis que nous légitimons la bêtise, depuis que la bêtise est notre compagnon le plus constant ; depuis que nous vivons dans un état profond de sous-humanité, à cause d’elle, depuis que nous sommes pris au piège de l’imposture, à cause d’elle, depuis que nous avons cessé de rêver, à cause d’elle… Puisqu’il revient à chaque génération de répondre aux questions de son temps, notre réponse aux forces hostiles à la vie doit être aussi puissante qu’une bombe. Où qu’elle se trouve, en nous ou à l’extérieur de nous, il nous faut débusquer la bêtise, la traquer jusque dans son dernier retranchement, pour la dynamiter.

Qu’est-ce donc la bêtise sinon tout mode de comportement qui entrave l’homme et l’empêche de grandir ? Qu’est-ce donc la bêtise sinon toute action qui rabaisse l’homme jusqu’à l’extrême limite de l’infériorisation ? Qu’est-ce donc la bêtise sinon des préférences et préjugés prises pour seule vérité ? Qu’est-ce donc la bêtise sinon l’application de la loi du plus fort, du plus rusé, du plus cynique ? Qu’est-ce donc la bêtise enfin sinon la volonté de fuir, de mettre bas les armes sans avoir mené le plus petit combat pour le respect de ses droits ?

Puisque ce que font les hommes ce sont les hommes qui les défont, il est impératif en 2023 que les hommes et les femmes, conscients du poids insoutenable de cette peste collective qui nous accable (la bêtise), se dressent de toute leur taille en mettant un point d’honneur à mettre fin à son règne ! Si l’homme est ce qu’il fait, l’essentiel aujourd’hui pour l’Haïtien est de se désaccoutumer de la bêtise pour ‘’être’’, seul moyen de construire la Nation.

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