Effondrement de l’éducation : l’Université d’État d’Haïti n’attire presque plus
Haïti, un pays autrefois fier de son héritage de liberté et de résilience, voit aujourd’hui son système éducatif s’effondrer sous le poids de l’insécurité et de la fuite massive de sa jeunesse. Ce qui était autrefois un pilier de l’espoir et du progrès est devenu un champ de ruines, illustrant de manière criante la dégradation de l’ensemble du pays. L’Université d’État d’Haïti (UEH), jadis le phare de la connaissance et de l’élévation sociale, est désormais l’incarnation d’un échec collectif.
Les chiffres témoignent de l’ampleur du désastre : pour l’année 2024-2025, seulement 1 760 jeunes se sont inscrits à l’UEH, contre 38 930 en 2020-2021. Cette chute vertigineuse est le reflet de multiples crises imbriquées qui étouffent le pays, notamment l’insécurité, l’absence de perspectives professionnelles et la fuite de la jeunesse haïtienne vers des terres étrangères, exacerbée par des programmes d’immigration comme celui proposé par l’administration Biden.
L’insécurité galopante est sans conteste l’un des principaux responsables de cette situation dramatique. Port-au-Prince, autrefois un centre d’attraction pour les jeunes de tout le pays, est devenue une ville assiégée par les gangs, où le simple fait de se rendre à l’université devient un acte de bravoure. Autrefois, dès qu’un jeune terminait son cycle classique dans les villes de province comme Jérémie, Petit-Goâve, le Cap-Haïtien, ou les Cayes, il se dirigeait naturellement vers la capitale, où l’UEH représentait une porte vers un avenir meilleur.
Aujourd’hui, cette réalité est bien loin. Les routes qui mènent à Port-au-Prince sont devenues impraticables, contrôlées par des gangs armés qui rançonnent et terrorisent. « L’emplacement des facultés, les nombreuses crises dans les facultés, les routes bloquées empêchant les jeunes de se rendre à Port-au-Prince, la situation chaotique dissuadent les parents d’envoyer leurs enfants », explique Dimitry Charles, un journaliste avisé. L’idée même de faire ce trajet représente un risque que peu de familles sont prêtes à prendre.
Pour les parents, la question n’est plus de savoir si l’université est une bonne option pour leurs enfants, mais s’il est moralement justifiable d’envoyer un jeune dans cette jungle urbaine. « Soyons sérieux, vu l’état actuel du pays, pensez-vous que des parents oseraient encore envoyer leurs enfants dans ce chaos ? », s’interroge une mère désemparée. La réponse est de plus en plus claire : non.
À ce climat de peur s’ajoute une autre réalité : celle de la fuite massive des jeunes vers les États-Unis. Le programme d’immigration mis en place par l’administration Biden, qui offre des opportunités de visas et de protection temporaire aux haïtiens, attire de plus en plus de jeunes désillusionnés par leur pays. Plutôt que de braver les dangers de Port-au-Prince pour poursuivre des études universitaires sans aucune garantie de succès, beaucoup préfèrent tenter leur chance à l’étranger. Ce phénomène de fuite des cerveaux aggrave encore davantage la crise dans le système éducatif haïtien.
Nahomie, une jeune diplômée du secondaire, l’exprime sans détour : « Même pas en rêve ! Je n’irai pas à la faculté, sous aucune forme ni aucun prétexte, parce que même l’État dans ce pays nous décourage. » Ses paroles font écho à un sentiment partagé par beaucoup de jeunes haïtiens. Pourquoi risquer sa vie pour une éducation qui, à terme, ne garantit même pas un emploi stable ?
Les opportunités à l’étranger sont perçues comme plus tangibles que celles offertes localement. « Si c’était aujourd’hui que je devais découvrir Port-au-Prince, je ne l’aurais jamais connu », confie Youseline Gilles, résumant l’état d’esprit de cette génération perdue.
Même pour ceux qui parviennent à braver l’insécurité et à entrer à l’université, les perspectives sont sombres. Haïti souffre d’un taux de chômage élevé, et les diplômés universitaires peinent à trouver des emplois correspondant à leur niveau d’instruction. Après des années d’études, ces jeunes se retrouvent souvent à déposer leurs CV dans des dizaines de bureaux sans jamais recevoir de réponse.
Il n’est donc pas surprenant que l’éducation ne soit plus perçue comme une solution viable. Les parents et les jeunes eux-mêmes se demandent quel est le véritable bénéfice d’une éducation universitaire dans un pays où l’économie est en ruine et où même les postes basiques sont hors de portée.
Outre l’insécurité et le manque de débouchés professionnels, l’état physique des universités en Haïti est une autre source de désillusion. Les facultés de l’UEH, autrefois des lieux d’enseignement et de recherche, sont aujourd’hui dans un état de délabrement avancé. Certaines facultés sont littéralement sans abri, faute de locaux adéquats, et les étudiants sont souvent contraints de suivre des cours dans des bâtiments en ruine ou sous des abris de fortune. Comment peut-on espérer qu’une jeunesse motivée poursuive ses études dans de telles conditions ?
Dimitry Charles, qui suit de près la situation, ne cache pas son désespoir : « Même les facultés sont sans abris dans ce pauvre pays. » Cette situation est le reflet d’un système éducatif à bout de souffle, incapable de fournir aux étudiants les infrastructures de base nécessaires à leur apprentissage.
Malgré ce tableau sombre, il est important de rappeler que l’université reste un élément central du développement d’une nation. Elle est bien plus qu’un simple lieu de transmission de savoir ; elle est le creuset où se forment les leaders de demain, ceux qui seront capables de transformer la société et de relever les défis qui se dressent devant elle.
Une société qui abandonne son éducation abandonne son avenir. Si l’on permet à l’université de continuer à se détériorer, c’est l’ensemble de la nation haïtienne qui s’enfonce dans une spirale de pauvreté et de désespoir. L’éducation est le seul levier capable de sortir Haïti de la crise. Pourtant, sans sécurité, sans infrastructures et sans perspectives professionnelles, cet idéal reste hors de portée pour la grande majorité des jeunes Haïtiens.
Face à cette catastrophe, l’État haïtien ne peut plus rester passif. Il doit prendre des mesures immédiates pour restaurer la sécurité autour des campus universitaires, réhabiliter les infrastructures et offrir des perspectives réelles aux jeunes diplômés. Les organisations internationales et la diaspora haïtienne ont également un rôle crucial à jouer en soutenant financièrement et matériellement les initiatives visant à redresser l’enseignement supérieur en Haïti.
Les jeunes haïtiens méritent mieux. Ils méritent un avenir où l’université est accessible, sécurisée et capable de leur offrir des opportunités. Sans cela, la fuite des cerveaux continuera et Haïti perdra peu à peu ses forces vives, condamnant le pays à une stagnation permanente.
Le déclin actuel de l’université en Haïti n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’années d’inaction, d’indifférence et de mauvaise gouvernance. Mais il est encore temps de changer les choses. Haïti a besoin d’une jeunesse instruite, prête à relever les défis. Et pour cela, l’éducation doit redevenir une priorité nationale.
Si nous voulons un avenir pour Haïti, nous devons commencer par sauver l’université. Car c’est en redonnant aux jeunes Haïtiens l’espoir d’une éducation de qualité et de meilleures perspectives que nous pourrons, enfin, commencer à reconstruire ce pays.
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