Entre exploitation et exclusion sociale, le calvaire des femmes de ménage échappe à l’Etat haïtien

« Bòn, femmes de ménage, travailleuses domestiques… », les appellations sont nombreuses pour qualifier cette catégorie tant exploitée au sein de la société haïtienne. Dans la majorité des cas, elles ne jouissent pas, entre autres, de leurs droits au congé, aux bonus et au salaire minimum. En 2019, le Conseil Supérieur des Salaires (CSS) avait fixé à 250 gourdes par jour le salaire minimum de ces travailleuses. Cependant, beaucoup d’entre elles continuent de recevoir moins de 100 gourdes pour une journée de travail qui, parfois, va au-delà de 8 heures. En Haïti, le calvaire de certaines femmes de ménage échappe aux autorités concernées. REPORTAGE.-

Marie est originaire de Boucan-carré, département du Centre d’Haïti. Elle est âgée de moins de 18 ans. Elle est entrée à Port-au-Prince depuis 3 mois, sous demande de ses parents qui ne pouvaient pas répondre à ses besoins. Depuis son arrivée dans la capitale, Marie travaille comme « servante » chez une commerçante. « Mwen pa gen anpil tan nan travay la. Map degaje m pou m ede fanmi mwen ki nan sitiyasyon difisil », nous dit la jeune fille dès les premières minutes de l’interview.

Marie, 7ème d’une famille de 9 enfants, n’a jamais eu la chance de fréquenter un établissement scolaire. « Je passe toute la journée à travailler. Je fais tout, pour seulement 6 000 gourdes environ par mois », nous dit la jeune femme.

« Depi m fèt mwen poko janm ale lekòl. Se rèv mwen wi, ale lekòl. Men mwen pa gen posibilite a », se plaint-elle, visage fermé. Avec l’aide d’une amie, Marie avait appris à écrire son nom. La jeune femme de ménage souligne que les autres enfants de sa famille allaient à l’école, mais ne peuvent plus continuer, faute de moyens économiques.

Cette catégorie de femmes souffre en silence. Un silence stoïque. Elles sont habitées par la responsabilité de faire vivre leur famille. Nanoune, qui est elle aussi travaille dans ce secteur, affirme que la plupart des « Bòn » vivent dans des conditions difficiles. Elle explique que le salaire des femmes de ménage peut être varié, en fonction de la zone ou du quartier en question. A Port-au-Prince par exemple, certains patrons payent entre 4 000 et 5 000 gourdes par mois, alors que le montant est beaucoup plus bas dans d’autres localités. « Outre ce montant insignifiant, il nous arrive parfois de subir des supplices », dit-elle.

« Je suis la première à me lever et la dernière à dormir. En plus de cela, il m’arrive après avoir préparé le repas, de n’en goûter qu’aux restes », se plaint cette femme de ménage, rencontrée au bord de la rue, à la poursuite des éboueurs pour jeter son sac d’ordures. Se plaignant de la précarité dans laquelle elle évolue, Nanoune confie avoir été choyée par tous les membres de la famille au début. Mais par la suite, c’est la tourmente totale.

A en croire les témoignages de ces travailleuses, certains patrons négocient en précisant la nature du travail. Une fois embauchée, ces femmes de ménage se rendent compte qu’il y a beaucoup plus de travail à faire que prévu. « Dans ces situations, on est obligé d’accepter. Sinon, d’autres jeunes filles saisiront l’occasion », relate Nanoune, la voix épuisée.

De son coté, Carline, 25 ans, croit qu’il faut être armée de courage et de caractère pour supporter ces genres de situation. Mère de 2 enfants, abandonnés par leur père, Carline travaille comme « servante » dans une famille apparemment aisée de la capitale.

«Je travaille depuis plus de deux ans ici. J’ai commencé à travailler, après avoir donné naissance à mon premier enfant. Mes parents ont décidé de ne plus m’accompagner. Pour répondre aux besoins de mon enfant, je suis obligée de travailler comme domestique », a déclaré pour sa part Ania, âgée de 30 ans. Durant plus un an, elle affirme avoir cherché du travail sans rien trouver. « Comme je voulais gagner de l’argent dignement, j’étais obligée de travailler comme servante. J’ai beaucoup réfléchi avant de prendre cette décision », dit-elle. A en croire Ania, les tâches que l’on attend de la bonne dépassent largement le cadre de celles qui lui avaient été assignées au moment de l’embauche.

Autres aspects avancés par ces femmes de ménage : « le mauvais traitement subi sur le lieu de travail ». « Parfois, même les enfants à la maison nous invectivent. Les gens ne nous respectent pas. Nos droits ne sont pas garantis », regrette Carole qui travaille comme servante dans une famille aisée dans la capitale haïtienne.

Entre « travail déshumanisant » et « droit de cuissage »

Les femmes de ménage sont souvent victimes de violences verbales, de gestes suggestifs de leurs employés, de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles, d’atteinte morale et d’actes de persécution de toutes sortes. Il s’agit de comportements répréhensibles, qui ne sont jamais sanctionnés, puisque le secteur ne bénéficie d’aucune protection. De manière générale, les cas de harcèlement sont banalisés dans la société haïtienne.

Certaine agression débouche sur le viol de la victime, même si celle-ci ne va pas porter plainte. Leur seule réaction : « mettre fin au contrat souvent verbal, qui les liait avec leur agresseur ». « Gen de kay ou al travay, wap jwenn gason kap kouche w…», témoigne Carmelle, une autre femme de ménage, qui travaille dans ce secteur depuis plus de 20 ans.

Veuve, mère de 3 enfants, Carmelle est souvent victime de harcèlement du patron de la maison. « Je prépare à manger, je m’occupe des enfants, je fais la lessive, je prends soin de Monsieur quand madame n’est pas là. Quand sa femme est là, il me parle durement et ne me regarde même pas… », dénonce la dame. Selon ce qu’a raconté Carmelle, les patronnes les détestent parce qu’elles les considèrent comme des femmes susceptibles de voler leur mari.

« Les hommes ne nous respectent pas parce qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent avec nous. Ce sont nos patrons… Ça ! C’est notre vie à nous. On n’a pas de temps de repos. On nous traite avec irrespect », regrette-t-elle.

Syndicalistes et organes de l’Etat se positionnent

Le président de la Confédération des Travailleuses et travailleurs du Secteur Public (CTSP), Jean Bonald Fatal dénonce les mauvaises conditions socio-économiques en Haïti et de nouvelles dispositions gouvernementales jugées grotesques. Le syndicaliste a également dénoncé les diverses mesures prises par l’Etat, ainsi que les violations des droits des travailleuses, notamment ceux des travailleurs domestiques.

De son coté, le responsable de l’Office de la Protection du Citoyen (OPC), Renan Hédouville, se dit prêt à accompagner les femmes de ménages dans leur combat. « Ces travailleuses ont des droits et peuvent recourir à la justice si elles sont victimes d’abus », souligne le protecteur du citoyen.

Les membres du personnel de service à domicile, encore appelés « gens de maison » ou « femmes de ménage » travaillent dans des conditions favorables à la violation de leurs droits socioéconomiques. Elles reçoivent un salaire fixé selon l’humeur de leurs employeurs-res, qui souvent ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins ou de prendre soin convenablement des membres de leur famille. Elles n’ont pas droit au congé payé, ni aux avantages sociaux.

Les femmes de ménages face à leurs droits

Par méconnaissance de leurs droits et en raison de la lenteur de la procédure judiciaire et par crainte de perdre leur travail, les « Bòn » se réduisent au silence et acceptent ce qui, beaucoup trop souvent, relève de l’inacceptable. Pour justifier le maigre salaire qu’ils octroient aux femmes de ménage, certains employeurs-res n’hésitent pas à énumérer les privilèges dont jouissent ces dernières puisqu’à défaut d’habiter la maison où elles travaillent, elles y passent toute la journée.

Pourtant, les législateurs avaient déjà résolu cette situation. En son article 255, le Code du travail haïtien prescrit que « la rétribution des travailleurs domestiques comprend, outre le versement de gages en espèce, la fourniture du logement et d’une alimentation en quantité et en qualité courante ».

Selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), les travailleuses domestiques évoluent dans une situation d’exclusion sociale. L’organisation des droits humains se base sur les résultats d’une enquête menée en 2014, de concert avec la « Solidarite Fanm Ayisyèn – SOFA », sur le harcèlement sexuel en milieu du travail. Cet aspect a été abordé, compte tenu des rumeurs faisant croire que les femmes de ménage constituaient une cible très vulnérable par rapport à la problématique. Le harcèlement sexuel, au même titre que le harcèlement moral, puise sa force dans le fait que l’employée est placée sous la menace constante du licenciement ou du renvoi.

De plus, aux termes des articles 257 et 258 du Code du Travail, il est prévu que les travailleuses domestiques doivent entre autres : « jouir d’un repos absolu obligatoire de dix (10) heures par jour, bénéficier d’une demi-journée au moins les dimanches et les jours fériés ou chômés ». Dans ces mêmes articles, il est dit cette catégorie de personnes doit pouvoir fréquenter un cours d’alphabétisation ou de préparation professionnelle, sans diminution de salaire et sans que le patron puisse s’y opposer.

« Elles doivent bénéficier également d’un congé de maladie allant jusqu’à quinze (15) jours ou d’une indemnité allant d’un (1) mois à quatre (4) mois de salaire, si la période de maladie est plus longue ou s’il y a impossibilité de donner suite au contrat qui liait les parties », ordonne le Code du travail. Additionné à cela, l’article 4 de l’arrêté du 31 octobre 2019 en la matière prévoit que « le salaire minimum du personnel de service à domicile est fixé à deux-cent-cinquante (250) gourdes par journée de huit (8) heures de travail »

Les conditions générales de travail des femmes de ménage sont donc totalement à l’opposé de ce qu’elles auraient dû être, si l’on tient compte des dispositions légales susmentionnées. Ces conditions prouvent clairement que les femmes de ménage sont continuellement victimes d’un rapport d’exploitation illégale. Un état de fait qui semble être le cadet des soucis des autorités étatiques haïtiennes.

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