Opinion-Banditisme

Entre fuir ou affronter les gangs, les Haïtiens doivent impérativement choisir

À la lumière des évènements qui ont suivi la disparition tragique de Jovenel Moïse en Haïti, tels que la passation du pouvoir au docteur Ariel Henry sur un simple tweet de madame Lalime, la signature de l’accord du 11 septembre par des acteurs les plus hostiles à Jovenel Moïse, l’accord de Montana, la multiplication des cas de kidnapping et surtout le renforcement de la toute-puissance des gangs, Haïti fait face à deux choses inquiétantes qui expliquent la dégradation actuelle des conditions de vie de la population. La première, la plus importante, est la léthargie mortifère dans laquelle est plongé le peuple haïtien; la deuxième, l’indifférence des autorités en place face à tout.

Nous ne sommes pas les seuls responsables de nos malheurs, c’est une vérité de La Palice. Notre histoire coloniale et post-coloniale nous présente comme un peuple rebelle, refusant d’accepter les conditions de vie dégradantes qu’on lui impose. Nos ancêtres ont tracé le chemin de la liberté en s’affranchissant de l’esclavage. Des luttes pour l’égalité, pour une meilleure répartition des richesses, pour de meilleures conditions matérielles d’existence ont, pendant longtemps, caractérisé la vie des populations les plus vulnérables. Les Haïtiens se sentaient profondément concernés par leurs conditions de vie, ils ripostaient à chaque fois que leurs droits étaient menacés, ils revendiquaient, manifestaient violemment pour dire NON aux abus de pouvoir, NON aux inégalités sociales, NON à la corruption et NON à l’insécurité. Les Haïtiens avaient pour boussole, les acquis constitutionnels pour lesquels ils étaient prêts à mourir. Leurs revendications se cristallisaient à travers les mouvements populaires.

Paradoxalement, à un moment où les conditions de vie en Haïti sont totalement désastreuses, où l’inflation est à son plus haut niveau, le chômage ne cesse de croître, l’état de droit bafoué, la décapitalisation de la classe moyenne s’accélère, l’appauvrissement des couches les plus vulnérables s’accentue, l’insécurité et de la criminalité s’intensifient, la population reste de marbre. Elle est aux abois, renonçant à ses fondamentaux de lutte collective. Le peuple haïtien est dans un sommeil profond, il est zombifié. Les Haïtiens préfèrent aujourd’hui la fuite, non pas comme stratégie de lutte comme le marronnage du temps de l’esclavage, mais par peur d’être tués par les gangs armés qui les forcent à se déplacer, qui les privent de leur liberté. Ils sont dans une léthargie mortifère. Le courage et la détermination qui habitaient les Haïtiens pour la défense de leurs droits et leurs intérêts ont disparu. Les manifestations de rue pour protester énergiquement contre les dérives, contre les exactions des gouvernants, pour forcer les autorités à endosser leurs responsabilités ne sont plus d’actualité. Les Haïtiens sont dans le déni, ils acceptent leur sort, ils abandonnent, ils prennent la fuite.

D’un autre côté, l’Etat comme souvent ne se manifeste pas. L’indifférence de l’Etat au sort de la population ne date pas d’aujourd’hui, elle est à la lumière de notre histoire, un mode de gouvernance. L’Etat haïtien est un prédateur qui livre ses citoyens en pâture à la bourgeoisie rentière, qui se fait, depuis les années 2000, la complice parfaite des bandits armés, qu’il utilisent pour ses propres besoins. Nous sommes depuis quelques années et aujourd’hui plus encore, tiraillés par la présence des gangs. Ces derniers sont dans une logique de déracinement et de déplacement de la population. Les bandits ont forcé les gens des quartiers populaires à prendre la fuite, ils ont contraint, par la force des armes, les citoyens de l’entrée Sud de la capitale à s’exiler, et aujourd’hui, ceux de l’entrée Nord sont en train de vire l’enfer.

Face aux bandits qui sèment la terreur, la population ne résiste pas, elle s’enfuit et s’apitoie sur son sort. Face à l’indifférence de l’Etat, marquée par sa complicité, sa complaisance et l’impunité des gangs, la population ne proteste pas, pensant que les problèmes vont se résoudre d’eux-mêmes. Par ce comportement passif des citoyens, les gangs se donnent aujourd’hui les pleins pouvoirs, ils élargissent leur territoire, ils décident de notre vie et de notre mort. Face à nos enfants et à la postérité, qu’allons-nous faire, nous qui fuyons dans tous les sens, qui acceptons de baisser les bras et de ne plus manifester ? Nous avons une responsabilité envers nous-mêmes, envers nos enfants et envers le pays. Cette responsabilité nous incombe à prendre en compte le sort des gens de Bel-Air, de Cité Soleil, de Martissant, de Fontamara, de La Saline, de la Plaine du cul-de-sac, de Tabarre et de toutes les zones qui subissent aujourd’hui la loi des gangs. Nous avons tous une responsabilité par rapport au pays que nous ont légué nos ancêtres. Et face à nos responsabilités, nous devons arrêter de fuir, pour affronter nos pires cauchemars d’aujourd’hui: les gangs et l’Etat haïtien.

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