Exécutions sommaires et banditisme : deux visages d’un même fléau
Sur les réseaux sociaux, des images atroces se propagent. Deux jeunes hommes, exécutés froidement, par le chef de gang « Lanmò san jou » s’effondrent comme des objets jetés d’un camion. Le geste est banal, presque mécanique, un simple appui sur la gâchette. Cette scène, d’une violence devenue ordinaire, illustre la brutalité omniprésente des gangs qui imposent leur loi, sans crainte de représailles, dans des quartiers laissés à l’abandon par les autorités.
Moins d’une semaine après une autre vidéo montre l’execution d’un jeune homme à solino sous les yeux d’une foule en liesse. Accusé d’avoir quitté Solino pour s’installer à Bel-Air, il a été rattrapé par le sort tragique de sa communauté d’origine. Des hommes armés l’ont capturé dans son nouveau lieu de résidence, l’accusant apparemment de trahison ou de délits inconnus du grand public. Ces hommes l’ont ensuite ramené à Solino, où il a été froidement exécuté. Le plus choquant dans cette affaire est la présence d’une foule qui, loin d’intervenir ou de montrer de la compassion, applaudissait avec joie alors que le jeune homme s’effondrait sous les balles. Ces exécutions, présentées comme une manière de « nettoyer » les quartiers de supposés petits voleurs, ne sont plus l’apanage des groupes criminels. Parallèlement, des figures censées incarner l’État de droit comme le commissaire Jean Ernest Muscadin sont également accusées d’exécutions sommaires, agissant en dehors du cadre légal pour lutter contre cette violence généralisée.
Le commissaire du gouvernement de Miragoâne, Jean Ernest Muscadin, est l’un des symboles les plus frappants de cette dérive. Son dernier acte d’exécution sommaire concerne, Adler Ramolien, un homme de 37 ans originaire de Canapé Vert. Bien que le puissant Muscadin ait reconnu qu’il n’y avait aucune raison légale de l’emprisonner, il a néanmoins justifié son exécution, révélant un glissement inquiétant vers une justice arbitraire. Jean Ernest Muscadin, commissaire de la juridiction de Miragoâne, bénéficie du soutien d’une partie de la population, notamment au sein de la diaspora. Ses partisans estiment que grâce à ses méthodes controversées d’exécutions sommaires, la région du Grand Sud a été épargnée par la prolifération des gangs, bien que cela soulève d’importants débats sur le respect des droits humains et l’État de droit.
Un dangereux parallèle
La similitude entre les exactions des gangs et celles des autorités est frappante. La ligne séparant les criminels des autorités s’efface dangereusement, laissant une population désespérée face à une spirale de violence sans issue. Les lois semblent avoir perdu toute signification, laissant place à une violence brute, exercée tant par des criminels que par ceux qui devraient les combattre. Ces scènes d’exécutions, capturées et diffusées sans retenue, témoignent de la banalisation de la mort en Haïti. Dans le même temps, des responsables politiques comme le Premier ministre Garry Conille s’efforcent de présenter une image rassurante de la situation, multipliant les discours rassurants à l’étranger. Mais derrière ces paroles, la réalité est implacable : les gangs continuent d’exécuter des innocents et, dans certaines régions, l’état en fait autant.
Un état démissionnaire
Comment l’appareil judiciaire haïtien a-t-il pu sombrer à ce point, permettant à des représentants officiels de s’ériger en bourreaux ? La faiblesse de l’État, corrodé par des décennies de corruption et de mauvaise gestion, a laissé un vide que certains officiels remplissent par des pratiques extrajudiciaires. Jean Ernest Muscadin, en se justifiant d’avoir exécuté Adler Ramolien, symbolise ce basculement vers une justice parallèle où les principes de droit sont piétinés. Ce n’est plus la loi qui s’applique, mais la loi du plus fort, une logique destructrice qui continue d’aggraver la situation du pays. Le cercle vicieux de l’impunité, Haïti est actuellement pris dans un cercle vicieux de violence, où plusieurs figures puissantes, comme le chef de gang “Lanmò San Jou” et d’autres leaders criminels, exécutent des rivaux ou des membres de la population, souvent de manière extrajudiciaire.
La situation est complexe, car l’effondrément de l’État, l’absence de justice fonctionnelle et la multiplication des gangs armés alimentent cette spirale de violence. Les gangs, qui contrôlent de vastes portions du territoire, terrorisent les citoyens avec des assassinats et des enlèvements, créant un climat de peur constante. Face à cette insécurité, certains agents de l’État, y compris des figures comme Muscadin, prennent des mesures extrêmes, justifiant leurs actions par la nécessité de ramener un semblant d’ordre. Cependant, ces méthodes illégales ne font qu’aggraver la situation, renforçant la perception que la loi et l’état ne sont plus des piliers de justice, mais des acteurs dans cette guerre sans fin.
L’impunité qui règne au sommet de l’État ne fait qu’encourager cette dérive. Les gangs, voyant que les autorités ne répondent plus aux exigences d’un système judiciaire équitable, se sentent confortés dans leur emprise sur les quartiers. Dans ce climat, les exécutions sommaires deviennent un outil de domination, et la population reste prisonnière entre la violence des criminels et celle des forces publiques.
Adler Ramolien n’est malheureusement qu’une victime parmi tant d’autres dans cette escalade de brutalité. Chaque nouvelle exécution, qu’elle soit commise par des gangs ou par les autorités, sape un peu plus l’espoir d’un retour à la légalité en Haïti. L’inaction des autorités centrales ne fait qu’alimenter l’impunité. Loin de freiner l’escalade de la violence, l’état semble se complaire dans un laisser-faire qui encourage à la fois les gangs et les représentants locaux à se substituer à la justice. Pour sortir de ce cercle de violence, Haïti a besoin de plusieurs actions combinées dont le renforcement de l’état de droit, la restauration d’un système judiciaire impartial et fonctionnel est essentielle pour réduire l’impunité et garantir que tous les citoyens, y compris les autorités, respectent la loi. Réforme des forces de sécurité. La police et les forces de sécurité doivent être réformées et mieux équipées pour combattre les gangs, tout en respectant les droits humains et les programmes sociaux et économiques. Le renforcement des conditions économiques et sociales dans les quartiers marginalisés peut offrir des alternatives à la violence et réduire le recrutement dans les gangs. Ce processus prendra du temps et nécessitera une volonté politique forte, ainsi qu’un engagement à reconstruire les institutions du pays sur des bases solides.