Haïti : De la politique du faux-semblant en pleine crise multiforme

Faux-semblant. Ce mot à lui seul traduit tout ce qui se fait en Haïti dans le privé comme dans le public, actuellement. C’était le cas hier, mais aujourd’hui, on dirait que les jeux sont faits. Hier, la présence de Jovenel Moïse au Palais national nous rappelait naïvement, par moment, qu’il y avait quelqu’un quelque part qui pensait à quelque chose, puisqu’il était la cible à abattre. Ses détracteurs forcenés nous donnaient l’impression, vaguement, qu’il y avait quelqu’un à bord, qu’il fallait le détrôner per fas et nefas pour en prendre la place. Depuis l’assassinat du 58ème Chef d’Etat, l’impression qu’il y avait quelqu’un et quelque chose s’est muée en certitude qu’il n’y a rien ni personne. 

Exécutif amputé. Législatif caduc. Judiciaire moribond. En Haïti, le pouvoir n’arrête pas le pouvoir, puisqu’aucun pouvoir n’existe. Personne n’arrête rien, rien n’arrête personne. Nous sommes plus que jamais à l’ère du vide. Que Dieu dans sa miséricorde nous protège du Covid ! 

Elections ! Elections ! Elections ! Aujourd’hui, tout ou presque se résume aux prochaines élections comme s’il y a véritablement un pouvoir à prendre. Quel pouvoir ? On dirait que nos enfants ont passé récemment le bac dans les conditions exécrables que l’on sait, sous la tutelle du Ministère dit de l’Education Nationale, pour être mieux habiles à voter… Baccalauréat ? Non. Petite évaluation avant scrutin ? Oui. Souffrant lui-même de toutes sortes de maladies, le Ministère de la Santé Publique poursuit son programme de vaccination anti-Covid pour éviter que le pays compte trop de morts, parce que les morts ne votent pas. Sinon, pas toujours. Tout se passe comme si sur la feuille de routeconfiée aux dix-huit (18) Ministres ou Séides, l’interdiction leur a été faite noir sur blanc d’emprunter une voie autre que celle des ELECTIONS. 

On ne creuse pas avec le manche de la bêche, mais le manche de la bêche aide à creuser, dit-on. Mieux encore, une main habile sans la tête qui la dirige est un instrument aveugle. La tête sans la main qui réalise reste impuissante. Tout ceci c’est pour dire que, dans toute société démocratique, le Pouvoir (Entendez par là Exécutif/Législatif/Judiciaire dans leur interdépendance) est bêche ou tête et l’Opposition politique est manche ou main. La main qui aiguillonne, tout au moins. Puisque l’un des principes de la démocratie c’est le dissensus, loin d’être emmerdement ou facteur de blocage, l’Opposition est l’âme de l’Etat, ou peut-être sa conscience, son juge (pour éviter toute exagération). Mais malheureusement, en Haïti, la nôtre est une maladie qui se prend pour un remède. Du vivant de Jovenel Moïse, la structure oppositionnelle, utile à un certain niveau, n’était pourtant pas une vraie force. Mais après sa mort, elle est devenue une grande faiblesse confirmée. De ce coté également, rien ne fonctionne. Tout compte fait, entre le Pouvoir et l’Opposition, c’est le choc de deux illusions…

Puisque deux torts ne font pas une raison, l’on aimerait bien se tourner vers la Presse pour bénéficier des vertus de son beau rôle d’Eclaireur social. Hélas, la Presse haïtienne a peur de se remettre en question, voilà ce qui explique, dans une large mesure, la très mauvaise santé de notre démocratie…

Alors qu’en tout ou presque nous appliquons la politique du faux-semblant, les sales et dures réalités sont bien présentes et pesantes, quotidiennement. Au sein de beaucoup de ménages, la misère est terrifiante, dans les quartiers populaires notamment les armes sont lourdes. Nous faisons semblant d’avoir un Gouvernement qui réalisera au moment M des élections générales qui se voudront honnêtes, inclusives et transparentes. Dans un élan de je-m’en-foutisme, le CEP a ouvert son registre d’inscription et plus d’une centaine de partis politiques ont fait semblant de s’inscrire, petite stratégie cynique pour parer à toute sorte d’éventualités. Pourtant, dans l’état actuel de pourrissement généralisé, le Peuple n’est pas dupe. Il sait bien qu’en Haïti il n’y a que la misère et les gangs armés qui ne savent pas faire semblant. Les deux nous terrassent, nous chassent et nous tuent ! 

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