Haïti : République des gangs, État complice, pays de tous les « inédits »

En Haïti, dans presque tous les départements, les gangs armés ne cessent de se multiplier. Des gens meurent. Des quartiers populaires sont vidés de leurs occupants. Les zones de non-droit augmentent. Ajoutée à cela, une population terrorisée, martyrisée, menacée, étouffée, et livrée à elle-même. Les gangs n’ont jamais été aussi présents dans le quotidien du peuple haïtien. Le banditisme prend du terrain à une vitesse vertigineuse dans un pays qui s’apprête à organiser des élections.

Depuis le massacre perpétré au quartier de La Saline où des corps ont été mutilés et laissés en pâture aux animaux et des maisons incendiées, depuis également les révélations du sénateur Jean Renel Senatus autour des connivences entre le Sénateur Garcia Delva et le chef de gang Anel Joseph, on assiste à une institutionnalisation des gangs. Ces derniers tuent, brulent et circulent en toute impunité, sans avoir la moindre peur du pouvoir en place, qui, semble-t-il, leur facilite la tâche.

Selon plus d’un, la prolifération des groupes armés en Haïti, est la conséquence directe de l’absence de l’État dans les quartiers précaires. Les citoyens pour la plupart, sont à la merci des chefs de gangs qui s’érigent en bienfaiteurs, et bénéficient de l’assentiment de la population de leurs zones de domination. Cette multiplication des bandes armées, s’inscrit également dans une logique de « pouvoir ». Il est un fait indéniable que certains de ces groupes sont réputés proches du pouvoir en place, d’autres sont proches de certains hommes politiques de l’opposition. Donc, l’utilisation des gangs en Haïti devient, depuis une vingtaine d’années, une stratégie de lutte pour la conquête du pouvoir, le renversement, mais aussi, le maintien du pouvoir. Par conséquent, les gangs sont aujourd’hui inhérents au pouvoir en place, qui, naturellement, les soutient en munitions et en argent.

L’insécurité grandissante à laquelle fait face la population haïtienne depuis un certain temps devient de plus en plus inquiétante. L’Etat haïtien ne rassure pas, au contraire il fait peur. Les citoyens constatent avec impuissance la montée incontrôlée des actes de banditisme dans les quartiers populaires. Certains bidonvilles sont aujourd’hui vidés de leurs habitants, qui n’en peuvent plus, face à la terreur des gangs.

Entretemps, les autorités en place ne font pratiquement rien pour ramener l’ordre, et n’éprouvent aucun intérêt de résoudre ce problème. Selon certains observateurs, les gangs armés sont considérés, depuis quelques temps en Haïti, comme une garantie électorale. Ils participent à l’instabilité de la société, instaurent la peur, fragilisent le lien social et appauvrissent davantage la population.

Cet état de fait nous permet de prendre le contre-pied du discours de « l’Etat faible », et nous aide à comprendre, qu’au même titre que la corruption, l’insécurité est un « mode de gouvernance », Les gangs armés eux aussi, sont l’expression d’une volonté manifeste de l’Etat, de garder la société haïtienne dans la peur, dans le but de contrer toute initiative citoyenne collective visant à un changement social.

Cette grille de lecture de l’Etat haïtien démontre clairement que le sort de la population haïtienne face au « banditisme légalisé » prônée par Martelly, qui s’est matérialisé à travers le népotisme, la banalisation de la fonction publique, l’irrespect de la mémoire collective, le crétinisme, l’incompétence entre autres, est entre ses mains. « L’Etat n’a pas perdu le contrôle des gangs armés, ils sont à sa solde », conclurent certains.

Si la concentration du pouvoir à Port-au-Prince fait débat depuis quelques temps, les gangs armés eux, prennent le devant, et se déconcentrent et décentralisent leurs actions dans toutes les villes de province. Citons en exemple le département de l’Artibonite, qui est devenu aujourd’hui le bastion des gangs. La semaine écoulée, la ville du Cap-Haïtien s’est fait remarquer avec la terreur qu’installent les groupes armés des quartiers Shada 1 et 2. Une situation qui prouve une fois de plus que les gangs se dispersent, et étendent leurs tentacules partout à travers le pays.

La réalité aujourd’hui, c’est que la population haïtienne est assiégée par les hommes armés, qui jouissent d’une liberté extrême offerte par le pouvoir en place. Le gouvernement en place est le premier responsable de la prolifération des gangs armés qui s’accentue pendant ces dernières semaines. Aucun signal réel n’a été envoyé pour éradiquer ce fléau. Au contraire, la plupart des bandes rivales sont le bras droit de l’équipe en place et travaillent à son profit. Les gangs sont d’autant plus puissants qu’ils arrivent même à placer leurs pions au sein du gouvernement. Allusion faite au DG actuel du CAS qui serait nommé à son poste sous recommandations des chefs de gangs.

Nous sommes peut-être face à une situation qui nécessiterait un engagement collectif, en vue de la mise en place d’une nouvelle classe d’hommes et de femmes politiques.

Ricot Saintil / HIP

Crédit Photo Dieu-Nalio Chéry

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