Inceste en Haïti : Des victimes rompent le silence !

Les relations sexuelles interfamiliales ne sont pas rares en Haïti. Malgré tout, elles restent et demeurent un sujet tabou dans la société. Même s’il n’y a pas de chiffres officiels en ce qui concerne les victimes de l’inceste, plusieurs jeunes filles, un peu partout à travers le pays sont victimes de cette pratique. Des adolescentes victimes d’inceste se font souvent violer soit par leur père, leur oncle, un cousin ou un autre membre de leur famille. Une rude épreuve pour certaines victimes, qui décident de briser le silence.

Marianne a eu ses premiers rapports sexuels avec son père, dès l’âge de 12 ans. Cela s’est passé, le jour de son anniversaire. « Ce jour-là, il me forçait à coucher avec lui. Et depuis, il me couche continuellement. Se li ki montre m fè bagay. Se li menm ki pèdi m », raconte-t-elle. Agée actuellement de 16 ans, Marianne explique qu’elle vivait avec son père et ses frères à cette époque-là. La jeune fille témoigne que son père le touchait comme si elle était sa femme. « Li fè ti bèf pou mwen, li banm bakchat », raconte Marianne, l’air dérouté.

Dans son témoignage, Marianne souligne qu’elle était enceinte de son père à deux reprises. « Il m’avait envoyé à la campagne pour faire un avortement. Après mon retour, il continuait à me coucher ». La jeune fille affirme qu’elle ne pouvait pas dénoncer son père uniquement parce qu’elle était sous sa domination. Suite à cette mauvaise expérience, Marianne a mis fin prématurément à ses études, faute de moyens. « Il m’a détruit. Il a hypothéqué mon avenir », conclut la demoiselle.

Quelques temps après, son bourreau (son père) a été appréhendé par la police, après que les directeurs de son école l’eurent dénoncé. Selon les informations dont dispose la rédaction d’Haïti Infos Pro, les instituteurs avaient remarqué un changement de comportement chez l’adolescente. Pour la jeune fille, sa mère est la principale responsable de l’enfer qu’elle a vécu. « Elle refusait de me croire », regrette Marianne, qui semble n’être pas prête à oublier une telle expérience.

Marianne n’est pas la seule à vivre une telle situation. Ramanaëlle Jean, 35 ans, a été elle aussi victime d’inceste. Elle avait à cette époque, entre 12 et 17 ans. Des années après les faits, la trentenaire peine encore à en parler. Pendant 5 longues années, son papa l’a abusé sexuellement. A l’instar de Marianna, Ramanaëlle a été elle aussi tombée enceinte à 2 reprises, et s’est fait avorter.

« C’était un véritable calvaire », raconte la jeune femme, qui vivait en ce moment-là avec son papa, ses 2 frères et sœurs. « Chaque soir, il venait vers moi comme si j’étais sa femme. Il m’embrassait, me touchait. J’ai toujours envie de parler à quelqu’un pour m’en libérer, mais j’ai jamais trouvé de la force », déclare la victime. Les larmes aux yeux, Ramanaëlle avoue que son papa l’a même menacée de mort, au cas où elle en parlerait à quelqu’un. Elle se dit être libérée grâce à une amie qui l’a aidée à fuir la maison paternelle. « 18 ans après, je vis avec une cicatrice », balance-t-elle, la mort dans l’âme.

Avortement raté et tentative de suicide !

En Haïti, les histoires d’inceste suivies de grossesse sont toujours étouffées par les proches des victimes. Ce qui engendre des dégâts considérables au sein de plusieurs familles. Ces agressions sexuelles poussent également certaines femmes à commettre des infanticides, pour se séparer de leur « fardeau ».

Ce n’était pas le cas pour Carole qui a été, comme Ramanaëlle et Marianne, abusée sexuellement par son père. Âgée de 30 ans aujourd’hui, la jeune commerçante qui vit à Port-au-Prince, raconte qu’elle a eu des rapports sexuels avec son papa, pendant une période de 10 ans. « Ça a commencé depuis à l’âge de 13 ans. J’étais enceinte. J’ai tenté vainement d’avorter », avoue Carole, qui est actuelle mère d’un enfant, dont son propre père est le géniteur.

« Quand mon enfant sera grand, je lui dirai que son papa est mort. Effectivement mon père est mort, et il ne saura jamais s’il était son papa », explique Carole, visiblement déboussolée. Après plusieurs années, la jeune commerçante dit vouloir sortir de la honte, après cette « mauvaise expérience ». Elle affirme avoir rencontré un homme, avec qui elle essaie quotidiennement de se reprendre.

Issue d’une famille qui peine à s’assurer deux repas par jour, Carine, une autre jeune fille victime de l’inceste, vit une situation de précarité. Son cousin en profite de ses conditions vulnérables, pour lui faire des offres. Nous sommes en 2012. Carine est âgée de 26 ans et a été abusée par son cousin. « Il m’embobinait et me menaçait. Il profitait de ma situation et m’utilisait comme si j’étais son objet sexuel », raconte la jeune fille, qui avait tenté de se suicider à 2 reprises. « Mwen te wont, m pat vle pou zanmi m yo te dekouvri sa a », déclare Carine, qui fait partie des victimes de l’inceste en Haïti, décidant de rompre le silence.

« Kase fèy kouvri sa a », la stratégie autodestructive des victimes

Selon la sociologue haïtienne, Sabine Lamour, le phénomène de l’inceste existe bel et bien et ne date pas d’aujourd’hui. « Le problème c’est que les familles et les victimes décident de garder le silence. Ils préfèrent la stratégie « kase fèy kouvri sa a », regrette Mme Lamour. Certaines fois, souligne-t-elle, les mères se font complices, en s’enfermant dans le mutisme, uniquement pour protéger leur famille.

La sociologue souligne que l’évolution des sociétés permet de comprendre autrement ce phénomène. Car, indique Sabine Lamour, les victimes sont non seulement très jeunes, mais aussi majeures, voire adultes. « Ces actes sexuels se transforment toujours en agressions et en violences. Les victimes sont généralement surprises et menacées », déclare la Coordinatrice de Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA), qui traite pas mal de cas d’inceste pour le moment.

Selon Sabine Lamour, la majorité des victimes sont des mineures. « Elles sont toutes abusées par des personnes qui devraient les protéger, comme leur papa, leur frère aîné, un oncle ou un cousin », indique la féministe. En ce sens, elle demande aux victimes de briser le silence.

Dans la foulée, la sociologue a fait savoir qu’il n’y a pas de recherches et ni de données statistiques à ce sujet. La sociologue exhorte l’Etat haïtien à élaborer une politique publique autour de ce phénomène. « Des institutions comme les établissements scolaires, doivent être prises en compte dans cette politique », dit-elle.

Comment se remettre d’une relation incestueuse ?

Pour certains, vivre après une relation incestueuse reste et demeure un véritable calvaire, une rude épreuve. « Une personne victime d’inceste doit suivre un traitement psycho-traumatique », conseille le psychologue Jean Wilner Louis. Selon lui, ce travail permettra à la victime de se reconstruire, de se reconnecter avec elle-même et l’aidera à détruire le sentiment de culpabilité et de honte qui l’habite. « Les victimes se sentent brisées. Elles méritent un accompagnement spécial ».

A l’instar de Sabine, le psychologue demande aux abusées de rompre le silence. « Pour franchir cette étape, la victime doit comprendre qu’elle est victime », ajoute le spécialiste.

Que dit la loi haïtienne ?

« Dans le code pénal haïtien, le chapitre traitant des agressions sexuelles est un galimatias. La loi haïtienne ne criminalise pas l’inceste », critique Jean Renel Sénatus. L’homme de loi rappelle que ce phénomène est défini comme une relation sexuelle entre un enfant et un membre de la famille ou de l’entourage familial de l’enfant. « L’inceste s’inscrit dans une relation pervertie du parent maltraitant avec son enfant. Le code pénal est muet sur la question », regrette l’ancien sénateur de l’Ouest, qui souhaite la criminalisation de ces actes.

Dans ce cas, Jean Renel Sénatus qui a initié la fameuse lutte dénommée « Zo Kiki » a la tête du Parquet de Port-au-Prince, encourage aux victimes de se montrer courageuses, en dénonçant leurs bourreaux par devant la justice. L’avocat croit qu’aucune mineure ne saurait consentir à une relation sexuelle incestueuse. Pour l’ex-commissaire du gouvernement, il est temps de changer la loi, pour qu’elle prenne en compte les spécificités de l’inceste et protège les enfants contre cette pédo-criminalité.

Notons que dans le code pénal haïtien de 1835, l’inceste n’est pas clairement mentionné. Mais à l’article 282, il est évoqué que quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant, ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse, de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de l’âge de dix-huit ans, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans. « Si la prostitution ou la corruption a été excitée, favorisée ou facilitée par leurs pères, mère, tuteurs ou autres personnes chargées de leur surveillance, la peine sera d’un an à trois ans d’emprisonnement », stipule texte.

A cet effet, Jean Renel Sénatus qui a travaillé sur la réforme des codes pénales et de procédures pénales, recommande à ce que la loi haïtienne se prononce clairement sur le phénomène, qui est jusqu’ici un sujet tabou dans le pays.

Des filles mères enceintées par leurs propres pères, des enfants, fils de leur grand-père…, l’inceste continue de faire des victimes en Haïti. Si certaines jeunes filles décident de briser la barrière de la peur et de la honte, d’autres acceptent de souffrir en silence, pour ne pas être critiquées ou marginalisées par la société.

Tous les noms utilisés pour les victimes sont des noms d’emprunt afin de protéger leur identité.

Kettia JP Taylor / HIP

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