Gangs Journalistes

Journalistes et gangs armés : un mariage anti-éthique et anti-démocratique 

Le journalisme haïtien est en crise. Alors que le pays est en proie à une violence croissante, certains membres de la presse, censés être les gardiens de la vérité et de l’information, sont accusés de tremper dans des activités criminelles. La presse haïtienne, autrefois flambeau de vérité et de justice, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, tiraillée entre la noblesse de sa mission et les sombres réalités d’un pays en proie à l’insécurité et à la désillusion. Jadis gardienne des valeurs démocratiques, elle vacille sous le poids de la corruption. Ce paysage médiatique, autrefois résilient et porteur d’espoir, ressemble aujourd’hui à un champ de bataille où l’éthique se heurte à la survie. L’arrestation de trois (3) journalistes et la révélation faite par la DCPJ dans un rapport concernant d’autres travailleurs de la presse en lien avec des gangs armés, loin d’être un incident isolé, met en lumière les faiblesses structurelles et éthiques qui gangrènent la profession.

Infiltration des gangs et décadence morale dévoilées par l’arrestation de trois journalistes

L’arrestation récente de trois journalistes, soupçonnés de liens avec des groupes criminels, est un coup dur pour la crédibilité du secteur et jette une ombre sur le rôle même de la presse. Une nouvelle tâche sur l’image de la presse pour plus d’un. Lionel Édouard, journaliste-communicateur, a vivement réagi, dénonçant une situation qui, selon lui, ne fait qu’aggraver l’image déjà ternie de la presse dans le pays. Pour Lionel Édouard, ces arrestations illustrent la banalisation de la présence des gangs dans les médias, une réalité à laquelle le pays ne peut échapper. “Les gangs sont partout,” déclare-t-il, ajoutant que ces groupes criminels ont infiltré non seulement la presse, mais aussi d’autres secteurs essentiels comme la santé et les forces de l’ordre. Selon lui, cette infiltration est le résultat d’une lente et constante dégradation de la profession journalistique en Haïti, exacerbée par une absence de régulation stricte et un manque de contrôle sur la formation des journalistes. 

Crise identitaire et recrutement d’incompétents

La crise identitaire de la presse haïtienne, selon Lionel Édouard, trouve ses racines dans les années 1990 avec l’émergence de la presse indépendante. Cette période a vu l’entrée dans la profession de nombreux individus sans formation adéquate, créant ainsi un désordre qui a permis à n’importe qui de se proclamer journaliste. Le journaliste critique également la prolifération incontrôlée des écoles de journalisme en Haïti, comparant ce phénomène à des champignons poussant après la pluie, ce qui a conduit à une baisse générale de la qualité du journalisme. Lionel Édouard met également en lumière une pratique inquiétante dans les médias traditionnels, Pour réduire les coûts salariaux, de nombreux propriétaires de médias intègrent des personnes non qualifiées, les plaçant derrière un micro ou dans d’autres rôles médiatiques. Cette décision de recruter des individus sans compétences adéquates contribue, selon lui, à la dégradation de la qualité du journalisme et à la perte de crédibilité des médias. Cette dégradation a fait de la presse haïtienne un terrain fertile pour les intérêts personnels, éloignant de plus en plus les médias de leur rôle initial de gardiens de la démocratie. Le communicateur également déplore que les médias, autrefois respectés pour leur engagement intellectuel et leur rigueur, soient désormais contaminés par le phénomène des gangs, mettant en péril la crédibilité du journalisme dans le pays. 

Une résilience mise à l’épreuve

Hérold Jean François, Directeur général de Radio Ibo, a également réagi à cette affaire, soulignant que l’arrestation de ces journalistes, bien que choquante, ne ternira pas durablement l’image de la presse haïtienne. Pour lui, la presse en Haïti a toujours été résiliente, même face aux persécutions et aux dictatures passées. “C’est un coup dur, certes, mais cela ne va pas rabaisser l’image de la presse haïtienne,” a-t-il affirmé. M. Jean François a cependant précisé que ces arrestations doivent être distinguées de celles survenues dans le passé, où les journalistes étaient arrêtés pour leurs positions contre le gouvernement ou pour dénoncer la mauvaise gouvernance. Il souligne un problème structurel profond, l’absence de régulation stricte dans la pratique journalistique en Haïti, qui permet à n’importe qui, via les ondes de la radio ou les réseaux sociaux, de se présenter comme journaliste, ce qui contribue à l’ambiguïté actuelle et à la perte de confiance du public. 

Le journaliste Assad Volcy, PDG de Gazette Haïti, a également exprimé son indignation face à l’arrestation destrois journalistes, en soulignant la dégradation morale et éthique du métier. Selon lui, le journalisme en Haïti, autrefois respecté, est désormais infiltré par des malfaiteurs et des vagabonds. Il rappelle avoir déjà alerté sur la présence de journalistes impliqués dans des gangs, certains étant même sur les listes de paie de ces organisations criminelles. Assad Volcy va plus loin en affirmant que de nombreux journalistes en Haïti ont amassé des richesses considérables grâce à des activités douteuses, suggérant que tout journaliste riche en Haïti devrait être questionné sur l’origine de sa fortune. “Même un propriétaire de média ne peut pas être riche dans ce métier,” déclare-t-il, insistant sur le fait que la richesse dans le journalisme haïtien est souvent le fruit d’activités illicites. 

L’héritage des anciens, un flambeau qui s’éteint

Il fut un temps où la presse haïtienne était le bouclier des opprimés, dénonçant avec ferveur les injustices et les dérives du pouvoir. Des figures emblématiques comme Jean Dominique (défunt), Liliane Pierre-Paul (défunte), Marvel Dandin, Marcus Garcia, Hérold Jean François, entre autres, ont marqué l’histoire par leur engagement sans faille envers la vérité, malgré les risques encourus. Leur combat, leurs mots, étaient les échos d’une société en quête de justice et de liberté. Mais cet héritage semble aujourd’hui menacé, alors que les nouvelles générations de journalistes doivent naviguer dans des eaux troubles, où les intérêts personnels et les alliances douteuses ternissent l’image d’une presse jadis respectée.

Les arrestations récentes, qui ont exposé des journalistes aux côtés de membres de gangs lors d’opérations policières, ne sont que la pointe de l’iceberg. La réalité est que le métier de journaliste en Haïti est de plus en plus entaché par la corruption, la manipulation, et la compromission. La situation actuelle est le résultat direct du laxisme et du manque de régulation dans le secteur médiatique haïtien. Sans contrôle ni encadrement, le journalisme est devenu un outil entre les mains des plus forts, souvent des criminels. Entre infiltration des gangs, absence de régulation et crise identitaire, la presse haïtienne se trouve à un tournant décisif. Alors que certains, comme Hérold Jean François, croient encore en sa résilience, d’autres, comme Lionel Édouard et Assad Volcy, sonnent l’alarme sur la nécessité de réformes profondes pour restaurer la crédibilité et l’intégrité de ce pilier de la démocratie.

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