Le mandat des sénateurs, une épine dans les pieds d’Ariel Henry

Partira ou partira pas? Le Sénat? Partiront-ils les dix sénateurs restants? C’est la question qui agite le débat en ce début d’année en Haïti, où le sort des élus semble être entre les mains d’un non-élu, Premier ministre de facto Ariel Henry. Entre ceux qui sont pour le départ des sénateurs et ceux qui ne le sont pas, c’est une véritable guerre d’interprétations de la Constitution.

Au milieu de ce tohu-bohu, la fin ou pas du mandat des sénateurs, représente une épine dans les pieds d’Ariel Henry, qui dispose de tous les pouvoirs depuis son intronisation à la Primature. À quoi doit-on s’attendre le deuxième lundi du mois de janvier? Ariel Henry va-t-il imiter Jovenel Moïse qui dans un tweet avait constaté la caducité du parlement ? Les sénateurs vont-ils rester en fonction, même s’ils ne servent plus à rien? Autant de questions importantes qui méritent d’être adressées pour une meilleure compréhension de la réalité actuelle.

En janvier 2020, les débats étaient houleux sur la fin de la 50e législature. Juristes, spécialistes, experts et politiciens faisaient entendre leur voix dans le sens qui leur convenait. Les interprétations des articles traitant notamment du renouvellement du tiers du sénat étaient sujet à toutes sortes d’interprétations. Et comme un souverain n’ayant de compte à rendre à personne, Jovenel Moïse avait décidé du sort du parlement par un tweet. « Ce lundi 13 janvier 2020, ramène la fin de la 50ème législature. Nous constatons la caducité du Parlement et nous prenons acte de ce vide institutionnel occasionné par le départ de la chambre des députés et des 2/3 du Sénat », avait-il mentionné.

Certains sénateurs ont protesté énergiquement contre leur renvoi, ils ont brandi la constitution pour exercer leur droit, mais Jovenel Moïse ne cédait pas. À l’époque, le 58e président de la république avait des velléités dictatoriales, et diriger sans le pouvoir législatif était une opportunité idéale pour mettre à dessein ses projets.

En ce début d’année 2022, sans président de la république, le pays s’enlise dans un débat déchirant, qui enflamme les médias et agite la sphère politique. Les opinions sont divisées, les explications contradictoires. Différemment de 2020, où le pays avait un président en fonction même s’il était décrié et faisait face à un ensemble de revendications qui fragilisait son pouvoir, il jouissait d’un certain regard sur les institutions, aujourd’hui c’est un pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme, un premier ministre de facto, qui lui, ne jouit d’aucune légitimité, mais dispose d’un pouvoir sans bornes. Néanmoins, sa situation est d’autant plus fragile que Jovenel Moïse en 2020, les 10 sénateurs restants sont les seuls élus issus de suffrage universel, ils symbolisent, tant bien que mal, ce qui reste encore de la démocratie en Haïti, les renvoyer selon certaines personnes, c’est mettre fin au peu de démocratie « caricaturale » du pays.

Plusieurs options s’offrent à nous aujourd’hui en termes de décisions à prendre. Faut-il chercher la vérité constitutionnelle pour connaitre le sort des sénateurs, sachant qu’il n’y en a pas, par rapport au vide constitutionnel ? D’ailleurs, il faut se rendre à l’évidence que le pays n’évolue pas dans un cadre légal. La constitution de 1987, n’est plus en vigueur. Il n’y a pas de cour constitutionnel pour trancher sur des sujets polémiques, interprétés différemment suivant les intérêts en présence. Le premier ministre de facto n’a pas les provisions légales pour mettre fin au mandat des sénateurs, même s’ils n’ont aucun pouvoir depuis 2020. La situation actuelle n’est pas anodine, elle est le fruit de la mauvaise gouvernance, de l’irresponsabilité des sénateurs eux-mêmes qui n’ont jamais été à la hauteur de leurs tâches.

Au-delà du débat sur la fin du mandat des 10 sénateurs, il y a aujourd’hui, un homme qui est au cœur de la situation, il s’agit d’Ariel Henry. Ce dernier dispose d’un pouvoir inconstitutionnel qu’il exerce comme bon lui semble, mais surtout dans l’intérêt de ses maitres. Vraisemblablement, c’est lui qui aura le dernier mot. Va-t-il comme Jovenel Moïse dans un tweet, constater la fin du mandat des sénateurs ? On ne le sait pas, néanmoins, ce dossier est comme une épine dans ses pieds. C’est-à-dire c’est un dossier à double tranchant. Renvoyer les 10 sénateurs peut déboucher sur une nouvelle opposition politique dans le pays.

Certains sénateurs comme Joseph Lambert qui a un attachement viscéral au pouvoir politique promet déjà de tout faire pour ne pas se laisser faire. D’autres sénateurs « centristes » peuvent enfin prendre leurs responsabilités pour se positionner contre Ariel Henry. D’un autre côté Ariel Henry n’a absolument aucun intérêt à mettre fin au séjour des 10 sénateurs au parlement. Ils n’ont aucune force contraignante, ils ne servent plus à rien.

Aujourd’hui plus que jamais Ariel Henry doit rechercher l’adhésion des masses, il doit comprendre qu’il n’a pas carte blanche pour agir à l’encontre des intérêts collectifs. Le constat aujourd’hui, c’est que le pays s’enfonce davantage, les institutions n’existent plus, la police est divisée et inefficace, le peuple souffre on ne peut plus. La priorité ce n’est pas de statuer sur le sort de 10 sénateurs improductifs sans importance aucune, la priorité c’est de combattre l’insécurité en mettant fin au règne des gangs et de trouver un consensus pour élaborer un plan à un retour à la normale du pays, qui passe nécessairement par la mise en place des institutions et des dirigeants élus.

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