L’impréparation reprend ses habitudes assassines

Le pays est à nouveau frappé par un séisme d’une grande ampleur. Magnitude : 7.2. Zones violemment touchées : les départements de la pointe sud d’Haïti. On déplore, depuis ce samedi 14 août, plusieurs milliers de morts et de blessés. Les pertes en vies humaines sont accablantes et les dégâts matériels colossaux. Toutes nos sympathies aux victimes, à leur famille et à toute la communauté nationale qui vient de subir les assauts de la nature. Loin de vouloir hiérarchiser les morts, car aucune vie ne peut se prévaloir d’une quelconque supériorité, nous saluons les départs pour l’au-delà de deux grandes figures de la vie politique haïtienne, M. Jean Gabriel Fortuné et M. Laurent Louis Batista (Théma), fauchées par ce cataclysme.

Il y a 11 ans, soit le 12 janvier 2010, le pays avait subi un séisme meurtrier qui laisse encore des plaies vivaces. Quelle disposition avait été prise depuis ? Quelle leçon avait été tirée ? Quelle politique avait été élaborée ? Mutisme complet ! Opacité totale !

Un séisme est un phénomène géologique. Traduit en catastrophe, il peut être un évènement anthropique. Le Japon enregistre environ 20% des violents séismes qui touchent la planète. Toutefois, tout est mis en place pour limiter les dégâts : système d’alerte, formation des citoyens, constructions adéquates, mode d’intervention diligente et efficace des autorités, etc. Le 14 août 2021 est un rappel macabre de l’incurie qui caractérise la gestion de l’État. C’est comme si le séisme dévastateur de mai 1842 aussi bien que celui de janvier 2010 n’avaient jamais eu lieu. La solidarité inter-haïtienne et la solidarité internationale supplantent la diligence des gouvernants qui sont aux abonnés absents. L’appareil étatique s’aventure sur une pente savonneuse avec morgue, des gens trépassent faute d’avoir été secourus à temps.

Nous sommes dans l’immédiateté avec une grande facture d’urgences sur les épaules : séisme, formation de gouvernement légitime, élections, justice pour les victimes de massacres et d’assassinats, démantèlement des gangs, pacification du pays, limitation de la propagation de la COVID-19, renforcement de la gourde face au dollar américain, redynamisation de l’économie nationale… Aucune autorité digne du nom ne peut se résoudre à ne pas rendre aux populations de Bel-Air, de Delmas, de Christ-roi (pour ne citer que ceux-là) ainsi qu’au journaliste Diego Charles, à la militante Antoinette Duclair, à Me Monferrier Dorval et à l’ancien président de la République, Jovenel Moïse, la justice qui leur est due. Vu la dynamique actuelle, on est amené à croire que les urgences sont mises en attente. Aucune priorité n’est définie ! Aucun signal clair n’est donné !

Cette nouvelle mésaventure est une double opportunité perverse. D’abord pour les affairistes, ensuite pour les États « faux-amis ». Des prédateurs économiques utiliseront sciemment et avec malignité leur réseau pour détourner l’aide dédiée aux véritables victimes puisque leur inhumanité n’a d’égal que leur porte-monnaie. Nos « amis », quant à eux, nous imposeront leur grammaire de changement volatile. Étant donné que nous sommes à genoux, ils en profiteront pour appliquer leur agenda politique sous couvert de bienveillance humanitaire. Ce faisant, ils mettront la pression aux interlocuteurs engagés dans les « négociations politiques » pour trouver un accord politique factice sans se préoccuper de sa légitimité. Par ricochet, ils pourront s’enorgueillir de perpétuer leurs contre-productives habitudes de doter le pays de fantoches qui n’auront d’yeux que pour leurs instructions.

Tandis que la conjoncture commande la rupture, la classe politique tarde à s’élever à la hauteur des grands défis de l’heure. N’est-ce pas l’opposition politique qui nous promettait une gouvernance responsable après le départ de Jovenel ? Combien de temps leur faut-il encore pour nous proposer une alternative viable et soutenable ? L’impréparation se conjugue à tous les temps ; hier, aujourd’hui et peut-être demain. Nous sommes piégés par des décideurs éthérés, des interlocuteurs véreux et des citoyens à l’agonie.

S’il m’avait été demandé de prodiguer un conseil à l’occupant de la Primature, je lui aurais dit, sans prétention aucune, la vérité du moment : « sans un accord politiquement largement consenti, vos promesses ne seront que des vœux pieux et vos activités des exercices de communication stérile. »

Wilner JOSEPH
Citoyen haïtien

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