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L’utilisation des réseaux sociaux en Haïti : espace toxique, manipulation et vide de contenu

Les réseaux sociaux, initialement créés comme des plateformes d’échanges et d’information, se sont transformés en Haïti en un espace où la toxicité et la superficialité semblent dominer. Ce phénomène est amplifié par un groupe influent d’influenceurs haïtiens qui, au lieu d’utiliser leur popularité pour éveiller les consciences et contribuer à la résolution des problèmes sociétaux, exploitent souvent la misère et les crises du pays à des fins personnelles et économiques. Selon DataReportal et Hootsuite en 2023, environ 5,6 millions d’Haïtiens étaient actifs sur les réseaux sociaux, soit près de 48 % de la population totale d’Haïti malgré les défis liés à l’accès limité à l’internet dans certaines régions. Les plateformes les plus populaires incluent Facebook, Tik Tok, Instagram, WhatsApp, et Twitter devient X

Cette tendance a plongé une partie de la population, surtout la jeunesse, dans une obscurité intellectuelle et morale inquiétante. Un exemple récent de cette dynamique toxique a émergé aux États-Unis, où la communauté haïtienne de l’Ohio a été ciblée par des attaques racistes sur les réseaux sociaux. Un groupe raciste a diffusé une fausse information accusant les Haïtiens de manger des chiens, des canards et des chats appartenant aux résidents locaux. Cette rumeur infondée a été amplifiée par des figures influentes comme Donald Trump, candidat républicain, et Elon Musk, le patron de X (anciennement Twitter). Ce mensonge a non seulement provoqué une vague de haine contre la communauté haïtienne, mais il a aussi été repris et propagé par certains influenceurs haïtiens eux-mêmes, renforçant ainsi la campagne de désinformation orchestrée par des groupes racistes américains.

Un miroir toxique qui étouffe la conscience collective

En Haïti, un pays confronté à une multitude de problèmes socio-économiques et politiques, les réseaux sociaux devraient théoriquement servir de plateforme pour mobiliser, informer et conscientiser. Cependant, ce n’est pas ce que l’on observe. Bien que certains influenceurs abordent les problèmes du pays, il est évident que beaucoup ne le font que pour attirer l’attention sur eux-mêmes et gonfler leur popularité. Leurs préoccupations sont souvent limitées à la recherche d’une visibilité accrue, visant à renforcer leur position sur le marché des influenceurs et à améliorer leur standing financier. Le mouvement « Kot Kòb PetroKaribe a », lancé en 2018 par Gilbert Mirambeau Jr., avait montré l’immense potentiel des réseaux sociaux pour initier des mouvements sociaux et politiques en Haïti. Ce fut un moment de prise de conscience collective où les citoyens ont utilisé les plateformes pour demander des comptes à leurs dirigeants sur l’utilisation des fonds publics. Cependant, depuis, les réseaux sociaux haïtiens sont devenus, pour la plupart, un espace de bruit, de dérision et de contenu vide, où les véritables causes sociales sont souvent noyées sous un flot de contenus frivoles et superficiels.

La culture de la dérision et de l’obscénité

Dans cet univers toxique, un groupe d’influenceurs a choisi de se détourner complètement des réalités douloureuses du pays. Leurs contenus se résument souvent à des vidéos vulgaires, des blagues douteuses, et des promotions d’obscénités qui nourrissent une culture de la dérision. Le langage obscène et les comportements provocateurs sont utilisés non seulement pour divertir, mais aussi pour attirer un maximum de vues et d’abonnés. Ces influenceurs semblent ignorer ou minimiser les souffrances et les crises que traverse le pays, en préférant offrir un spectacle qui, au final, ne fait que renforcer la désillusion et la distraction parmi leurs abonnés. Ces productions, qui valorisent des comportements souvent irresponsables, sont suivies par des milliers de jeunes, créant ainsi une génération qui s’éloigne de plus en plus des débats cruciaux pour l’avenir du pays. Au lieu de mobiliser les jeunes autour de causes comme l’éducation, l’engagement citoyen ou la lutte contre la corruption, certains influenceurs se contentent de remplir les fils d’actualité de contenu inutile, voire toxique. Cette dynamique s’étend même aux causes internationales, comme l’affaire de l’Ohio, où des influenceurs haïtiens ont contribué à la propagation des mensonges racistes au lieu de défendre leur communauté ou de dénoncer la manipulation des réseaux sociaux. Leur engagement dans cette campagne de désinformation montre à quel point certains d’entre eux préfèrent capitaliser sur la controverse, peu importe les conséquences pour leur propre peuple.

Une exploitation des problèmes du pays à des fins personnelles

Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que certains influenceurs, sous couvert de parler des problèmes du pays, manipulent en réalité l’opinion publique pour servir leurs propres intérêts. Ils utilisent les crises sociales et politiques comme toile de fond pour accroître leur popularité et bâtir une image d’activistes ou de “voix du peuple”, tout en profitant en coulisses de contrats de sponsoring et d’opportunités lucratives. Ce double jeu, où les influenceurs prétendent s’intéresser aux problèmes du pays tout en les exploitant pour leur propre bénéfice, renforce la méfiance vis-à-vis de ces figures publiques. Cette attitude contribue à la désillusion de nombreux Haïtiens qui, au lieu de trouver sur les réseaux sociaux un espace de débats constructifs et de propositions concrètes, se retrouvent face à une vague de contenus manipulés, destinés uniquement à faire monter en flèche les vues et les likes.

Le manque de contenu original et constructif

Il faut cependant reconnaître qu’il existe quelques voix qui tentent de faire la différence en produisant du contenu original, éducatif et utile pour la jeunesse haïtienne. Ces créateurs, malheureusement, ne sont ni les plus populaires ni les plus influents. Ils sont souvent relégués au second plan, leur travail éclipsé par les influenceurs plus tapageurs qui préfèrent offrir un divertissement sans substance plutôt qu’une réflexion sérieuse sur les défis de la société haïtienne. Ces créateurs de contenu constructif parlent de développement personnel, d’éducation civique, d’entrepreneuriat et de solutions pour sortir de la crise. Mais leur message peine à atteindre la majorité de la population, en partie parce que leurs contenus, bien que nécessaires, sont jugés « trop sérieux » ou « pas assez divertissants » par une audience qui a été formée à consommer du contenu léger et souvent frivole.

Un appel à la responsabilité sociale des influenceurs

Les influenceurs haïtiens ont un rôle crucial à jouer dans la construction de la conscience collective, surtout dans un pays en proie à de nombreux défis sociaux et politiques. Il est temps pour ces créateurs de contenu de reconnaître leur pouvoir d’influence et de l’utiliser de manière responsable. La superficialité et la dérision ne feront qu’entraîner le pays plus loin dans la confusion et l’immobilisme. Au lieu de cela, ils devraient promouvoir un contenu qui éclaire, éduque, et incite à l’action, car les réseaux sociaux peuvent, s’ils sont bien utilisés, devenir des outils puissants pour le changement social. En fin de compte, la jeunesse haïtienne mérite un espace médiatique qui valorise la réflexion, l’éducation et l’engagement citoyen. C’est seulement ainsi que les réseaux sociaux haïtiens pourront cesser d’être toxiques et redevenir une force positive pour l’avenir du pays.

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