Martissant déserté, la vie disparait, le quartier perd son essence !

Depuis plusieurs semaines, la violence a pris une ampleur démesurée à Martissant. Des morts, des blessés et des incendies de maison…, le quartier est vidé de ses habitants, qui décident de fuir la violence, à tout prix. En fuite, certains d’entre eux, sous couvert de l’anonymat, se sont confiés à Haïti Infos Pro.

Des barrières et des portes fermées. Des rues vidées de ses occupants. Le petit commerce quasi-absent… Dans certains quartiers de Martissant comme la 4e Avenue Bolosse, c’est le sauve qui peut. Depuis plusieurs jours, des familles tentent de fuir massivement la terreur des gangs, qui s’entretuent interminablement pour le contrôle des territoires. La violence s’amplifie. Le bidonville se vide. La 3ème circonscription de Port-au-Prince devient le carrefour de tous les malheurs.

« Les gangs armés ont mis le feu dans plusieurs maisons dans la zone. Ils ont incendié ma maison familiale. Ce bâtiment était une référence dans la zone. Après 40 ans, cette maison est partie en fumée », raconte un père de famille. Contacté par la rédaction d’Haïti Infos Pro, ce citoyen qui requiert l’anonymat, souligne qu’il est obligé d’abandonner son quartier, en raison de la terreur installée par les bandits armés. « Depuis janvier, je me suis réfugié chez un membre de ma familles. Se bagay ki di lè granmoun ret kay granmoun ! », se plaint le citoyen, l’air frustré.

Robert André, 49 ans, artiste peintre, habite à Martissant 5 depuis 1987. Il a laissé la zone « an chango » depuis Octobre 2019. « Je n’ai jamais vécu une telle situation. La situation se détériore. Je ne pouvais plus continuer », témoigne Robert. Pour lui, « vivre à Martissant, c’est vivre l’enfer au quotidien ! ». Révolté par ce climat de terreur, ce citoyen dénonce le silence des autorités étatiques qui, dit-il, « ont abandonné la zone ».

« J’ai laissé mon quartier de cœur… »

« J’ai vecu à Martissant pendant 57 ans. J’ai vu pas mal de choses. J’ai vu des conflits avec « Lame Ti Manchèt » sous le règne de Félix, mais je n’ai jamais vu une telle atrocité », témoigne pour sa part Antoinette. Cheveux blancs, la désolation inscrite sur son visage, la septuagénaire a dû elle aussi s’enfuir, et abandonner la zone.

« On entend tout le temps des rafales d’armes automatiques. C’est le chaos. Malheureusement, mon histoire avec Martissant se termine mal. J’ai laissé mon quartier de cœur ! », regrette Antoinette. En dépit de son âge, elle rêve de voir un autre Martissant, comme ce fut le cas dans le passé.

Des autorités sur le banc des accusés !

Pour certains habitants de Martissant, les hommes politiques sont à la base de tout ce qui passe dans ce quartier défavorisé. « Les hommes politiques sont les principaux responsables de cette situation. Ils utilisent la misère de la population, en leur donnant des armes à feu pour s’entretuer », affirme Philippe Jean. Agé de 46 ans, né à Martissant, ce citoyen qui a vécu toute sa vie dans cette zone, ne cache pas sa peine, face à la dégradation du climat sécuritaire dans son quartier. « Aujourd’hui, je vis avec une traumatisme. Les hommes armés m’ont braqué à plusieurs reprises », raconte Philippe, se trouvant actuellement chez un membre de sa famille.

Pour Carlin François, 41 ans, lui aussi, fils de Martissant, « les autorités ont complètement abandonné le quartier, ce qui incite les jeunes à prendre le chemin des armes. « Les politiciens utilisent la misère des gens au profit de leur cause personnel », dénonce Carlin, très remonté contre les dirigeants actuels. Ce quadragénaire affirme avoir laissé la zone « sans aucune préparation ». « Je n’ai pas de moyens. Je me suis réfugié chez un ami », nous dit M. François.

Entretemps, d’autres citoyens, qui n’ont pas de moyens prennent leur mal en patience, et se résignent dans un quartier livré aux bandits. Cette catégorie de personnes qui affirme n’avoir aucun endroit où aller, appelle à un cessez-le feu, afin de permettre un retour au calme.

Des familles qui s’enfuient, et qui crachent leur colère, un quartier qui se vide et qui perd son essence, la 3e circonscription de Port-au-Prince, entrée Sud de la capitale, semble échapper au contrôle de l’Etat. Les hommes armés opèrent en toute quiétude, en dépit de l’ultimatum du Ministre de la Justice, Lucmann Delille qui, selon certains, ne sert pratiquement à rien. La volonté de l’actuelle équipe gouvernementale est également mise en cause, tenant compte de la passivité affichée face au phénomène du banditisme dans le pays, particulièrement à Port-au-Prince.

A quand le retour à l’ordre à Martissant et ses environs ? En attendant une réponse à cette question cruciale, piétons et automobilistes qui doivent se rendre dans le Sud du pays, continuent de prendre des risques, sur une voie considérée comme le carrefour de tous les malheurs. Parallèlement, la zone menant vers le Théâtre National, contrôlée par les bandits armés de Village de Dieu est à éviter. Une situation qui provoque un embouteillage monstre entre ruelle Alerte et 5e Avenue Bolosse. Entretemps, à l’intérieur de Martissant, les gangs de « Ti Bwa » et de « Gran Ravin » s’affrontent. La bataille s’amplifie, les victimes sont nombreuses, des maisons partent en fumée. La vie perd son sens, dans un quartier historique qui jadis, faisait la fierté de ses habitants.

GEA / HIP

Credit photo : Gregory Detail

Tous les noms utilisés pour les victimes sont des noms d’emprunt afin de protéger leur identité.

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