Nouvelle mission onusienne en Haïti : solution ou énième illusion ?
Depuis des décennies, Haïti a vu défiler des missions des Nations Unies, chacune promettant d’apporter la paix et la stabilité. Pourtant, la réalité sur le terrain reste marquée par des violences accrues, une insécurité galopante et une prolifération des gangs armés, souvent exacerbée par les propres lacunes des missions précédentes. Aujourd’hui, l’appel à une mission de maintien de la paix onusienne est réitéré. Mais dans quel but réel, et avec quels résultats escomptés ?
Les Haïtiens gardent en mémoire les dérives des casques bleus, dont l’introduction du choléra en 2010 reste un traumatisme majeur, responsable de milliers de vies perdues. Cette épidémie, en plus des abus de droits humains commis par certains soldats de la paix, a laissé une profonde amertume et un sentiment de trahison. Pourquoi penser qu’une nouvelle mission de l’ONU serait différente ? Peut-elle vraiment corriger les torts du passé et instaurer une paix durable ?
Les actions de la communauté internationale semblent accentuer les contradictions et les frustrations. Malgré les pressions pour une mission élargie, la Russie et la Chine se sont opposées à une transformation de la force multinationale en mission onusienne, refusant de légitimer une intervention qu’elles considèrent inefficace, sinon contre-productive. Et même pour les pays favorables à l’intervention, les ressources et les effectifs promis tardent à se concrétiser, comme l’a souligné la ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy, qui a récemment déclaré que seulement 1 000 hommes sur les 2 500 initialement annoncés seraient réellement déployés.
Pendant ce temps, la violence des gangs se poursuit, exacerbée par des années de laisser-aller qui ont permis leur enracinement profond dans la société. Le soutien logistique, comme les blindés et équipements fournis à la Police nationale d’Haïti (PNH), semble inefficace face à des groupes de plus en plus sophistiqués. Loin de dissuader les criminels, ce renforcement a montré ses limites, puisque la violence n’a fait qu’augmenter malgré les moyens déployés.
Les contributions financières massives des États-Unis, du Canada, et d’autres membres de la communauté internationale, frôlant le milliard de dollars pour des programmes de sécurité, semblent s’évaporer sans impact notable. Au cœur de ce paradoxe, le rapport des Nations Unies du 15 octobre dernier dresse un tableau accablant, illustrant que l’insécurité atteint un niveau jamais vu, même en présence de forces internationales.
Alors que la pression monte pour un retour des Nations Unies, une réflexion plus large est nécessaire sur les échecs des interventions passées et la place réelle de la communauté internationale dans la résolution de la crise haïtienne. Comme le rappelait le Secrétaire général António Guterres, sans solution politique, le déploiement de forces de police ne résoudra pas le problème. Les enjeux d’Haïti sont autant politiques que sécuritaires, et une paix durable ne pourra être atteinte qu’en redonnant au peuple haïtien le pouvoir de décider de son avenir.
Il est donc légitime de questionner : une nouvelle mission onusienne est-elle vraiment la solution, ou est-ce encore une illusion pour éviter les responsabilités profondes de la communauté internationale et des élites locales ? Pour les Haïtiens, l’histoire et les traumatismes passés ne plaident pas en faveur d’une intervention internationale de plus. Il est temps de remettre en question ce modèle d’intervention et de chercher des solutions qui respectent enfin la souveraineté d’Haïti et répondent réellement aux aspirations de son peuple.