Quand Emmanuel Macron oublie le rôle dévastateur de la France en Haïti
Les déclarations d’Emmanuel Macron, tenues lors d’une visite en Amérique du Sud, ont suscité un émoi considérable tant en France qu’en Haïti. Qualifiant les dirigeants haïtiens de « cons » et les accusant d’avoir « tué Haïti » en permettant le narcotrafic, le président français a non seulement choqué l’opinion publique haïtienne, mais a également mis en lumière l’ingérence néocoloniale persistante de la France dans les affaires du pays. Si ces propos sont d’abord une maladresse diplomatique, ils révèlent surtout une ignorance ou un mépris profond de l’histoire complexe et des responsabilités partagées dans la dégradation d’Haïti.
Après avoir affirmé que les Haïtiens « ont tué Haïti », en laissant proliférer le narcotrafic, et avoir traité les dirigeants haïtiens d’incompétents, Macron a délibérément ignoré les facteurs externes qui contribuent à la crise actuelle de ce pays, tout en effaçant les conséquences de l’intervention continue de puissances étrangères dans les affaires internes d’Haïti. Ces propos sont d’autant plus choquants qu’ils viennent d’un président dont le pays a été à l’origine de l’imposition de la dette de l’indépendance à Haïti, une injustice historique qui a plongé la nation dans une spirale de pauvreté et de dépendance.
Il est difficile de séparer les déclarations de Macron du contexte historique des relations franco-haïtiennes. La France a, après tout, joué un rôle majeur dans la naissance de la misère haïtienne. En 1825, Haïti, le premier pays à avoir renversé le joug colonial, se voyait contraint de verser à la France une « dette de l’indépendance » d’un montant astronomique de 150 millions de francs-or – une somme que le pays n’a payé que plus de 100 ans plus tard. Cette dette, imposée par la France pour indemniser les anciens colons, a plongé Haïti dans une situation économique désastreuse, retardant son développement et exacerbant ses vulnérabilités.
Même après l’extinction de cette dette en 1947, la France a poursuivi une politique de « réinsertion » culturelle et économique qui a souvent eu des répercussions négatives pour Haïti. La coopération française, bien qu’affichée sous un jour « humanitaire », n’a pas toujours été dénuée de stratégie géopolitique et de domination. En soutenant des régimes autoritaires et en intervenant dans la gestion politique du pays, la France a, à plusieurs reprises, exacerbée les divisions internes et contribué à la déstabilisation.
Les propos de Macron, qui visent à accuser les Haïtiens de la dégradation de leur pays sans prendre en compte ce passé colonial, sont une insulte non seulement à l’histoire d’Haïti, mais aussi à la dignité du peuple haïtien. Au lieu de s’excuser ou de reconnaître les torts de la France dans cette relation historique, Macron semble préférer jeter la responsabilité sur les dirigeants haïtiens contemporains, ignorant ainsi les racines profondes de la crise.
Les problèmes actuels d’Haïti – l’insécurité croissante, le narcotrafic, l’effondrement des institutions publiques – ne sont pas uniquement le fruit de l’incapacité des dirigeants haïtiens. Ils sont aussi le résultat d’une série de décisions prises par la communauté internationale, dont la France, les États-Unis et le Canada sont les principaux acteurs. Le Conseil présidentiel de transition (CPT), institution mise en place sous pression internationale, ne représente pas une solution haïtienne à la crise, mais bien un projet de la communauté internationale pour tenter de résoudre les problèmes du pays selon des logiques extérieures, sans égard pour les spécificités locales.
Le narcotrafic, pointé du doigt par Macron, n’est pas un phénomène né dans le vide ; il résulte de flux économiques mondiaux alimentés par des puissances extérieures, et notamment des pays consommateurs comme les États-Unis. Haïti, qui n’est ni un grand producteur d’armes ni de drogues, subit les conséquences d’une mondialisation de plus en plus violente, où des puissances étrangères alimentent un climat de violence et de chaos. La France, loin de se contenter d’une posture de spectateur bienveillant, a souvent été partie prenante de cette dynamique, que ce soit par son soutien à des régimes impopulaires ou par son silence face à des interventions militaires extérieures qui ont déstabilisé le pays.
Face à cette réalité, il est essentiel que la France reconsidère sa posture vis-à-vis d’Haïti. Plutôt que de continuer à accuser les Haïtiens de leur propre malheur, la France doit reconnaître sa part de responsabilité dans la crise actuelle. Les déclarations de Macron ne peuvent pas être prises à la légère, car elles viennent raviver des tensions déjà exacerbées par l’histoire coloniale et les ingérences contemporaines.
Une intervention rapide et claire de l’Ambassadeur de France en Haïti, Antoine Mithon, est attendue pour rectifier ces propos et rassurer les Haïtiens sur l’engagement de la France à soutenir leur souveraineté et leur transition démocratique. Tout comme les États-Unis ont rectifié les propos de Donald Trump à l’égard des Haïtiens après les déclarations controversées de ce dernier, la France se doit de clarifier sa position pour éviter une rupture dans les relations bilatérales déjà fragiles.
Une diplomatie plus respectueuse et plus nuancée est nécessaire pour rétablir la confiance. Cela passe par la reconnaissance des erreurs du passé, l’engagement concret pour soutenir la stabilité d’Haïti sans ingérence abusive et la mise en place de partenariats véritablement solidaires, respectueux des besoins et des aspirations du peuple haïtien.
Les propos de Macron sont symptomatiques d’une vision réductrice et condescendante qui considère Haïti à travers le prisme de ses crises internes, sans prendre en compte les dynamiques internationales qui l’ont façonné. En accablant les dirigeants haïtiens de la responsabilité d’une crise qui les dépasse, la France se dérobe à ses propres responsabilités historiques et contemporaines.
Il est temps que la France, en tant que nation, prenne un pas en arrière, réexamine son rôle dans la situation actuelle d’Haïti et, au lieu de faire preuve de mépris, engage un dialogue respectueux et sincère avec ce pays. Car, à l’instar de toute relation bilatérale, celle entre Haïti et la France ne pourra être construite sur le rejet et l’insulte, mais sur la reconnaissance mutuelle des défis à relever ensemble.
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