Un Carnaval de la honte pour des artistes lèche-bottes

La réalité sociopolitique désastreuse et les risques sanitaires liés au coronavirus n’ont pas eu raison du carnaval national. Ville hôte pour cette année, Port-de-Paix a vibré pendant les 3 jours gras. Jovenel Moïse a réussi son pari. « Nèg bannann nan » a été sur toutes les lèvres des artistes qui lui ont voué un culte de la personnalité.

Au-delà du défilé, des chars allégoriques, des bandes à pieds, qui ont mis en valeur la richesse de notre culture, on a vu des artistes méconnaissables, insouciants, insensibles, inféodés au pouvoir en place, faire l’éloge d’un président déchu, dont ses actions relèvent de l’arbitraire, de la tyrannie, en d’autres termes de la dictature. La déception a été grande, les artistes ont fait le choix du ventre au détriment des menaces imminentes qui pèsent sur la démocratie, et l’insécurité grandissante qui endeuille la population.

Plusieurs groupes musicaux ont répondu à l’appel pendant les 3 jours gras, ils ont fait danser les carnavaliers. Le département du Nord-Ouest a eu droit aux performances de Tropicana, Tabou Combo, T-Vice, Djakout #1, Ekip, Harmonik & Top Adlerman, Mass Konpa, Boukman Eksperyans, Sweet Micky et autres. Le paradoxe de cette année pour les festivités carnavalesques, c’est qu’au moment où des citoyens haïtiens responsables marchaient à Port-au-Prince, pour dire non à la ‘’Dictature’’, non à la ‘’Violation de la constitution’’, ‘’A bas kidnapping’’, d’autres citoyens s’apprêtaient à danser le carnaval national, au mépris de leurs droits constitutionnels bafoués par le président déchu, des artistes, sans état d’âme, mais bien payés, ont choisi de faire l’éloge d’un président déchu, inconstitutionnel. C’est un contraste flagrant. C’est la preuve que la société haïtienne n’est pas intégrée. C’est un pays totalement stratifié, atomisé, ou les intérêts diffèrent les uns des autres. Le peuple est constamment manipulé et se trouve dans un état léthargique.

On est dans la dictature. Jovenel Moïse est un président de facto, qui reste au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel. Le carnaval a toujours été un moment de revendication, un espace où les artistes passent en dérision les agissements du pouvoir en place. Boukman Eksperyans s’est fait le champion dans ce domaine pendant plus de 25 ans. Mais, inexplicablement,  » Lòlò et Manzé » semblent être frappés de cécité. Ils ne voient plus. Ils sont confortables.

On assiste à un retrait des artistes, jadis engagés, ils arrêtent de chanter la misère du peuple, ils observent un silence complice, ils ne dénoncent plus. Au contraire, ils prennent ouvertement position contre la société. Ils sont du côté du pouvoir. À Port-de-Paix, certains artistes ont craché sur la misère du peuple, piétiné la marche contre la dictature, banalisé le kidnapping. Ces derniers ont mis leur projecteur sur le dictateur Moïse, l’ont encensé, à la limite, il a été glorifié par certains. Quel cynisme ! Quelle honte !

Notre respect pour nos musiciens n’est plus à prouver. Mais leur support à l’endroit d’un président déchu, d’un dictateur avéré, d’un antipolitique nous révolte. Certaines paroles, disons mieux, certaines déclarations d’amour des artistes pendant les 3 jours gras envers le « dictateur confirmé », Jovenel Moïse ne sont pas passées inaperçues. Elles font tâche d’huile.

Shoubou, legende vivante de Tabou Combo, ne s’est pas gêné, il a hurlé sans ambage: « Jomo, m fyè de ou». Roro, batteur de Djakout #1, quant à lui s’est arrogé le droit de passer en dérision la lutte populaire pour donner le bras au président de facto. «Jojo slogan an se: yap kite defo sa menm», martèle t-il sur le parcours. Roberto Martino, qui vit à l’étranger dans son confort, loin des gangs qui sèment la terreur en Haïti, visiblement, inapte, sans aucune notion de la démocratie s’est rabaissé pour parler de victoire. « Jojo chanpyon, Jojo bon sou yo». Et Fantom, sans aucun scrupule, aucun respect pour la fonction présidentielle, félicite le président déchu et lui demande de faire des répressions « Jojo m ba w respè w paske w tòg. Grenn nan bouda depi yo pa vle mache fè yo mache». Le carnaval national nous a permis de comprendre la laideur de nos musiciens. Il a mis en lumière le caractère plat de certains musiciens foncièrement motivés par l’argent qui piétinent les libertés et les droits des citoyens.

Comment un musicien de la trempe de Shoubou, qui a une si riche carrière, adulé par les Haïtiens, puisse se sentir fier d’un président décrié par presque toutes les institutions de la vie nationale? Comment, pour faire court, des hommes ayant bénéficié de l’amour du peuple puissent rejeter leur nom, leur dignité pour faire plaisir à un homme, qui n’a fait que mentir à son peuple, qui a détruit toutes les institutions républicaines, qui foule aux pieds les prescrits constitutionnels?

Comme Pierre a renié Jésus, Boukman Eksperyans a renié ses convictions pour s’allier à PHTK, comme Juda, les musiciens qui ont pris part au carnaval national de la honte ont trahi la population haïtienne, qui leur faisait confiance pour porter ses revendications. On ne cesserait d’aimer la musique, certains groupes musicaux resteront dans l’histoire, mais certains musiciens seront jetés dans la poubelle de l’histoire.

Haiti Infos Pro

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