Insécurité en Haïti : les handicapés, une catégorie oubliée

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Une personne à mobilité réduite sur une chaise roulante lors d’une manifestation contre l’insécurité au Cap-Haïtien. Photo prise par Oldjy François pour The Haitian Times


PORT-AU-PRINCE — L’insécurité en Haïti semble atteindre son apogée. Depuis 2020, presqu’aucune catégorie sociale n’est épargnée que ce soit dans la région métropolitaine de la capitale de Port-au-Prince ou dans les villes de province du pays. Des kidnappings, des assassinats, des massacres orchestrés dans les quartiers défavorisés deviennent monnaie courante. Parmi toutes ces victimes de l’insécurité en Haïti, il y a les personnes handicapées oubliées par plus d’un.


Nous empruntons la route de Delmas, une commune du département de l’Ouest du pays. Notre direction, la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA). Nous avons rendez-vous avec Michel A. Péan, aveugle et coordonnateur général de cette institution. Après une heure d’attente, il nous a reçus dans son bureau. C’est là que l’histoire du décès d’une non-voyante à cause de l’insécurité refait surface sur les lèvres de Péan.
Minezaphar Théophile est le nom de la non-voyante, victime de l’insécurité en Haïti. L’histoire de sa mort commence avec le massacre perpétré à La Saline en 2018, dit Michel A. Péan. Déplacée à cause des gangs dans un site de réfugié dans la localité « Mouzen », dans la capitale de Port-au-Prince, Théophile s’est retrouvée dans des conditions inhumaines. Elle dormait à même le sol. Une situation qui a affecté sa santé mentale, ce qui a conduit à sa mort.


Assis derrière son bureau, Péan explique qu’avant l’attaque à La Saline, Mme Théophile accompagnée par la SHAA vivait tranquillement et menait une vie autonome en s’occupant de ses deux enfants qui sont eux aussi des non-voyants.
Théophile ne pouvait plus supporter cette nouvelle vie engendrée par l’insécurité caractérisée par la violence des gangs. Selon Péan, sa famille était venue la chercher dans le camp et l’emmener à Mafranc, dans le département de la Grand’Anse du pays. C’est là que sa santé mentale s’est dégradée.
Cette histoire décrit à quel point, la prise en otage des quartiers populaires par les gangs affecte énormément les personnes handicapées, conclut Péan sur ce point.

Un handicapé calciné par des gangs

Parallèlement, un autre drame avait retenu l’attention du secteur qui plaide pour le respect des droits des personnes vivant avec un handicap en Haïti. C’était un jeudi après-midi, 1er avril 2021. Personne ne savait si la population de la commune de Bel-Air, au cœur du centre-ville de Port-au-Prince, allait vivre encore des jours sombres et connaître un climat de terreur. Tranquilles dans leur demeure, les habitants de Bel-Air n’imaginaient pas s’ils allaient voir leur maison et leurs effets personnels partir en fumée sur les attaques des gangs emmenés par leur chef Jimmy Cherizier, un ancien policier recherché par la police. C’était la troisième attaque de cette bande perpétrée dans cette zone.


Franck Moléon, un aveugle, âgé de 78 ans, ne croyait pas non plus que ce jour allait être son dernier jour de lamentations et de soupirs. Il n’imaginait pas que les gangs n’auraient pas de pitié pour un infirme. En effet, Moléon a été calciné par les flammes de son domicile qui était en train de brûler à la rue Monseigneur Guilloux. Lors de cette invasion, les bandits du G9 avaient mis le feu dans plusieurs maisons. A part d’être un non-voyant, Moléon était paralysé et ne pouvait plus marcher.
« L’insécurité a un impact négatif non seulement sur la vie des personnes handicapées mais aussi sur les institutions œuvrant dans le domaine du handicap », a déclaré Péan. « Ce qui est pire et grave, nous autres de la SHAA qui offrent des services de réhabilitation communautaire ne peuvent plus déplacer nos instructeurs pour aller encadrer les personnes handicapées visuelles à cause de l’insécurité dans les quartiers défavorisés ».

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Des handicapés fuyant l’incendie dans le camp la piste, qui se réfugient à l’école municipale de Pétion-Ville. Ils sont à l’entrée de l’école. Capture d’écran de Stanley Louis de sa vidéo prise pour Gazette Haïti.


L’Organisation Internationale de la Migration (OIM) a relaté en 2021 que les tremblements de terre et les incendies ne sont pas les seuls dangers qui menacent en Haïti la vie des haïtiens dont les personnes handicapées. Depuis mars 2020, la montée de la violence des gangs a provoqué le déplacement d’environ 19 000 personnes, y compris les personnes à déficience.


En dehors de leur handicap, les personnes handicapées et déplacées qui subissent régulièrement les conséquences de la violence viennent avoir en raison de l’insécurité d’autres besoins spécifiques en rapport avec des problèmes de logements dans des lieux sûrs et aussi des soins de santé.
Dans ce contexte, un service d’aide au relogement volontaire a été mis sur pied par OIM au bénéfice de plus de 10 000 personnes, dont plus de 5 200 femmes et filles et 550 personnes handicapées, victimes de l’insécurité criminelle qui sévit en Haïti.


Cette situation d’insécurité n’affecte pas seulement les personnes handicapées habitant à Port-au-Prince mais également celles des sections communales ou des villes de province du pays. A Port-de-paix, dans la 3e section communale « La Croix St Joseph », dans la première semaine du mois de juin 2022, plusieurs personnes à déficiences visuelles ont été obligées de fuir leurs maisons incendiées par des individus armés illégalement, a confié Méprilus Jean-Baptiste, représentant de la SHAA dans le département du Nord-ouest du pays.


Jean-Baptiste rapporte que ces non-voyants sont contraints de se réfugier dans la ville de Port-de-paix. Pour subvenir à leurs besoins, ces personnes en situation de handicap sont forcées de quémander dans les rues. Ils dorment dans le marché en Fer de la ville, dans les rues ou chez un bon samaritain.
« Avant, ces personnes vivaient de façon autonome et elles possédaient comme tout autre paysan leurs propres jardins », souligne Jean-Baptiste.
« Dans la ville, certains habitants qui mènent une vie précaire utilisent les personnes non-voyantes, les tenir par la main, pour aller demander de la charité aux passants dans les rues afin d’obtenir un peu d’argent par compassion », s’est regretté le représentant de la SHAA.


Diminution des activités, stress, angoisse


La SHAA est munie d’une Bibliothèque spécialisée appelée Roger Dorsainvil, accessible aux personnes handicapées et non handicapées. Dans ses locaux, adaptés aux handicapés, les dirigeants avaient en outre l’habitude d’organiser des animations socioculturelles, deux conférences par semaine dans le cadre de la formation de ces personnes. Mais avec l’insécurité, les activités ont été réduites et le nombre des handicapés bénéficiaires a été diminué.


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Bibliothèque spécialisée de la SHAA

“Parallèlement, nous avons mis sur pied « une unité de santé oculaire » pour que les handicapés visuels, en situation de grande vulnérabilité, puissent avoir accès aux soins oculaires. Mais, à chaque fois que l’insécurité augmente le nombre de patients diminue et ne peuvent plus se faire soigner », a fait savoir Péan.
Il y a d’un autre côté Watson Saintil, handicapé au niveau de ses pieds, qui aujourd’hui a peur de sortir parfois pour aller à ses activités. Âgé de 31 ans, il vit depuis 22 ans avec la maladie appelée polyarthrite rhumatoïde qui a causé la déformation de ses os. Saintil travaille comme archiviste au ministère du tourisme, mais il fournit souvent ses services à des ONGs évoluant dans le domaine du handicap. Par peur de l’insécurité dans le pays, Saintil a été obligé de refuser de nombreux contrats.


“Ce phénomène d’insécurité a augmenté mon niveau de stress. Il me porte à la dépression parfois », raconte Saintil, expliquant que cette situation affecte non seulement sa santé psychologique mais aussi sa santé physique.
“J’habite à Pétion-Ville mais à chaque fois que je devais me rendre à Carrefour pour voir les médecins, ce n’était pas de gaité de cœur, mais une mauvaise sensation. j’ai donc décidé de ne pas m’y rendre », ajoute-il.
Avec l’insécurité, les personnes handicapées sont doublement victimes dans le pays, selon les témoignages. Elle est pour plus d’un un problème qui vient s’ajouter aux nombreux actes de discrimination de la société et de l’État vis-à-vis de cette catégorie. Par exemple, le non accès à l’éducation. Une cause dont plusieurs organisations comme le Centre d’Éducation Spéciale (CES), la SHAA, avaient mené une lutte acharnée en Haïti.


Depuis la fédération des gangs sur le label « G9 en Famille et Allié  » en juin 2020, le pays a connu une montée de l’insécurité. Presque chaque endroit dans le pays, à Port-au-Prince ou dans les villes de province, est contrôlé par un groupe gang armé. Parmi ces gangs, la Commission Nationale de Désarmement, de Démantèlement et de Réinsertion (CNDDR) avait déjà dénombré 162 à travers le pays en 2019, avait rapporté le Nouvelliste.

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Jimmy Cherizier, alias Barbecue, avec la chemise rouge, est un ancien officier de police qui dirige la plus grande coalition de gangs connue sous le nom de « G9 en Famille et Alliés, suivi par des résidents de son quartier qui chantent pour lui. Photo Dieu Nalio Chery


Aujourd’hui, les gangs réclament de fortes sommes d’argent en échange de la libération d’un otage enlevé, a confirmé Gédéon Jean, directeur du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) lors de la première émission spéciale de l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) sur « l’insécurité grandissante et le phénomène du banditisme en Haïti », tenue le 3 avril dernier.


« Ces derniers temps, le fait d’être une personne handicapée en Haïti ne signifie en aucun cas d’être épargnée de l’insécurité qui ne cesse de prendre de l’ampleur », a déclaré Judeler Belfort, une autre personne à mobilité réduite, père de deux enfants respectivement de 1 à 4 ans. Il a pris pour exemple, l’incendie qui avait éclaté au camp des handicapés sur la route de la piste, à Port-au-Prince, le 17 juin 2021.
« Je n’ai pas encore été victime de l’insécurité de façon physique, mais cela ne m’arrange en rien lorsque je sais que je dois emprunter des routes dangereuses pour aller travailler », s’indigne Belfort.
Belfort a perdu l’usage de ses jambes après que la toiture d’une maison qui était en réparation lui est tombée dessus. Depuis lors, cette situation de handicap lui a rendu moins actif et incapable d’atteindre ses objectifs de devenir un grand footballeur professionnel.


« C’est la peur, la dépression qui nous ronge en ce moment d’insécurité, nous les handicapés », a affirmé Belfort. « Il n y a vraiment rien qu’on puisse faire comme handicapés contre l’insécurité. Moi pour essayer d’échapper à toutes les angoisses engendrées par ce phénomène, je cherche des choses divertissantes sur les réseaux sociaux ».

Victimes de vol

A présent, nous sommes à Canaan, une localité qui était déserte dans le temps à Bon Repos, dans la commune de Croix-des-Bouquets. Après le tremblement de terre de 2010, elle est devenue une zone d’accueil pour des milliers de rescapés du séisme. Sans contrôle et expertise de l’État, Canaan est devenue une zone habitable sans respect pour les normes de construction. Aujourd’hui avec la montée des gangs, les habitants de Canaan en voient de toutes les couleurs. Ces hommes armés pillent des passants et voitures qui empruntent la zone, ils tuent et violent les femmes, à en croire certains témoignages. Ces derniers ont même fait fuir des policiers qui étaient cantonnés dans le poste de police de Canaan.
Dans ce climat, même les handicapés n’ont aucune chance. Quand ils n’ont pas été forcés de fuir leur domicile, ils font l’objet d’actes de vol de la part des bandits sur les routes.


Si Watson Saintil et Enock Désius, un autre handicapé qui venait de passer un examen au niveau de l’école de Droit et Sciences Économiques des Gonaïves, ont eu la vie sauve, ils se sont faits toutefois dépouiller de leurs biens par le gang de Canaan.
« Nous sommes en Haïti, on n’y peut rien à part de continuer à avancer malgré les difficultés », a déclaré Saintil après le vol.Les deux handicapés étaient à bord d’une motocyclette pour rentrer à Port-au-Prince. Les bandits ont emporté tout ce qui était en leur possession, laptop, téléphone, documents des organisations qu’ils représentent et leurs pièces importantes.


« Nous sommes dans le mal et nous le sommes jusqu’à cou. Nous sommes dans le sang et nous le sommes également jusqu’au cou, nous les handicapés, face à cette insécurité », a lâché Saintil. « Nous sommes obligés de tenir bon, même si tout le monde attend son tour. Mais nous n’allons pas faire de l’imprudence non plus », ajoute-il.

Des lois non appliquées, la sécurité des handicapés en jeu

En dépit de ces mauvais traitements réservés aux handicapés, l’État haïtien a l’obligation de les protéger compte tenu de la ratification par le Parlement haïtien de la convention relative aux droits des personnes handicapées le 12 mars 2009. Dans l’article 4 alinéa 1, il est stipulé que l’Etat doit adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autres pour mettre en œuvre les droits reconnus dans cette convention.


Au niveau national, le Parlement haïtien a voté le 13 mars 2012 la loi portant sur l’intégration des personnes handicapées. Cette loi allait entrer en vigueur le 21 Mai 2012. Selon l’Office de Protection du Citoyen (OPC), la loi du 13 mars est qualifiée comme une réponse appropriée au traitement infligé aux personnes handicapées vivant avec une déficience physique, sensorielle, cognitive, psychique ou intellectuelle durable.


Cependant, l’OPC affirme que certaines activités ne peuvent pas être réalisées à cause du budget disposé pour l’intégration des personnes handicapées. « Les textes de loi ne sont pas suffisants, il faut qu’il y ait dans les faits des activités qui peuvent sensibiliser la population », a écrit l’Office de Protection des Citoyens.
Selon Michel Péan, la plus grande retombée des luttes pour le respect des droits des handicapés c’est qu’aujourd’hui Haïti possède cette loi cadre du 13 mars 2012. Toutefois, Péan dit regretter que les autorités n’ont point de volonté pour faire appliquer ces lois en faveur des personnes vivant avec un handicap et pas même en cette période d’insécurité.


« Certes, Haïti a ratifié la convention relative aux droits des personnes handicapées et possède des lois sur leur intégration et sur l’accessibilité universelle visant à garantir la sécurité des handicapés, mais dans la réalité il n’ y a aucun respect pour les lois ni de garantie pour la sécurité des handicapés », critique Saintil qui rejoint les propos de Péan.
« Sans le cacher, je n’ai qu’une seule pensée en tête, c’est quand ce sera mon tour pour être victime physiquement d’une balle, ou soit de me faire enlever », s’indigne Saintil qui a été victime de vol.

L’incendie d’un camp hébergeant des handicapés

Le mois de juin 2022 avait marqué une année depuis que le « camp la piste » à Delmas 2, qui hébergeait des personnes vivant avec un handicap, a été incendié. Le feu a été mis lors des affrontements entre la police et des gangs armés au bas de Delmas. Les handicapés accusent jusqu’à aujourd’hui les policiers d’en être les acteurs de cet acte incendiaire. Ils étaient des manchots, des non-voyants, mal voyants, des tétraplégiques, des sourds-muets à en être victimes.


Une personne handicapée réfugiant à l’école communale de Pétion-Ville qui pointe du doigt les policiers d’être les auteurs de l’incendie au camp des handicapés à Delmas. Extrait d’une vidéo prise par Stanley Louis

La majorité d’entre eux les handicapés ne bénéficient pas de la jouissance intégrale de leurs droits selon les observateurs des droits humains. Aussi constituent-ils l’un des groupes les plus vulnérables de la société. Aujourd’hui, les personnes handicapées sont également des citoyens qui subissent l’insécurité qui vient empirer leur situation dans la société. Ces handicapés, victimes de l’insécurité au camp de la piste, vont être relogés par la suite dans des salles de classe de l’école communale de Pétion-Ville, non appropriées pour qu’ils mènent une vie décente.
Ils se plaignaient du traitement reçu. Il n’ y avait pas d’endroits adaptés et adéquats dans cette école pour qu’ils fassent leurs besoins physiologiques. La nourriture pour eux devient de plus en plus un luxe. Certains n’avaient que le sol et qu’un drap pour allonger leur corps durant la nuit. Une situation qui rappelle l’histoire de Minezaphar Théophile qui s’était retrouvée dans des conditions similaires après avoir fui la violence des gangs à La Saline.


« Nous n’avons plus de maisons, plus de vêtements, tout a été brûlé, » a déclaré une réfugiée qui vivait avant dans le camp avec sa mère qui est une sourde-muette. « Nous dormons dans la rue, je n’ai rien à donner à manger à ma mère. Certains de mes enfants n’ont même pas de chaussures. Nous n’avons rien dans ce nouvel endroit de l’école communale de Pétion-Ville », ajoutait-elle au micro des journalistes de la Gazette Haïti lors d’une visite après l’incendie.
Lors de cette attaque, trois handicapés ont été blessés par balle. Certains d’entre eux ont été victimes faute d’entendre les bruits des projectiles vu qu’ils sont des sourds-muets.
Ces derniers n’ont jamais marché leurs mots au moment des différentes visites des journalistes pour expliquer qu’ils se sentent négligés par l’État qui ne se soucie pas de leur cas dont leur sécurité. En effet, l’on pouvait constater la participation de certaines personnes handicapées dans quelques mouvements de manifestation qui se tenaient contre l’insécurité en Haïti.


Des personnes handicapées marchant contre l’insécurité lors d’une manifestation organisée par des travailleurs de la santé qui a traîné dans les rues plusieurs milliers de personnes le 7 mars 2021.Extrait d’une vidéo prise par Rodly Jean


Avec l’aide des ONGs qui travaillent en Haïti, notamment l’Organisation Internationale de la Migration (OIM), environ 247 familles déplacées après l’attaque au camp de la piste ont été relogées dans différentes régions et des maisons de leur choix, louées par l’organisation, avait rapporté l’ONU.
En Haïti, près de 800 000 personnes, soit 10% de la population, vivent avec un handicap en 2007. Mais, ce chiffre a augmenté après le séisme du 12 janvier 2010, a affirmé Pierre André Dunbar, Représentant permanent d’Haïti auprès des Nations Unies à Genève lors de la présentation du rapport d’Haïti en février 2018 sur les mesures prises pour mettre en œuvre la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Dunbar parlait de 4000 nouveaux amputés après le séisme mais tout en gardant le pourcentage à 10% comme il était en 2007, alors que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) évaluait déjà le nombre à 15% en 2018.


L’éducation des handicapés touchée par l’insécurité


La lutte pour la prise en compte des handicapés dans le système éducatif haïtien et de leur intégration a commencé dans les années 1990. Il a fallu attendre jusqu’en 2012 pour qu’Haïti adopte un cadre juridique relatif à la protection des droits des personnes handicapées, qui en son article 32 indique que « l’accès à l’éducation est garanti à toutes les personnes handicapées ». Néanmoins, selon les responsables des structures évoluant dans le domaine du handicap dont l’ancien Secrétaire d’État Michel Péan, l’éducation de cette catégorie reste jusqu’à date de taille et un défi à relever.


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Des élèves vivant avec un handicap accompagnés des membres de l’école Foyer d’amour d’Haïti et de l’ancien Secrétaire d’État à l’Intégration des Personnes Handicapées, Gérald Oriol Jr. Photo du Bureau du secrétariat d’état prise en 2019


La SHAA et le CES sont deux des diverses structures de référence dans l’éducation spécialisée en Haïti. À entendre les responsables qui abordent dans le même sens, ils font comprendre que ce climat d’insécurité fait aujourd’hui partir des autres problèmes auxquels font face déjà les personnes ayant une déficience.
Quant à la SHAA, les dirigeants avaient opté pour un service d’éducation intégrée à partir duquel l’institution envoie directement ses élèves handicapés visuels à l’école ordinaire. Mais selon le coordonnateur, l’insécurité, empêchant la jouissance des droits à la mobilité, rend difficile l’éducation des personnes vivant avec un handicap. Il explique que les professeurs de la SHAA ne pouvaient plus encadrer les handicapés admis à l’école ordinaire. Ces élèves ne sont à présent plus capables de bénéficier de ce support pédagogique.


« On ne peut pas circuler dans le pays à cause de l’insécurité », indique Payen. « A la bibliothèque spécialisée Roger Dorsainvil nous recevons les handicapés visuels, les handicapés en général et aussi les non handicapés, mais aujourd’hui l’effectif a été considérablement réduit ».


Le CES, lui, est une institution qui se penche sur la problématique de la déficience intellectuelle chez les enfants pour assurer leur intégration sociale. Le CES est doté d’une école avec des techniques pédagogiques spécialisées, une clinique qui évalue et oriente les enfants, un programme des ateliers pour les adultes handicapés visant à favoriser l’insertion sociale par le travail, et un programme de parents responsables. Mais, depuis le séisme du 12 janvier 2010 qui a détruit deux immeubles de l’institution, causant la perte des équipements, et les problèmes financiers qui reviennent, le CES peine à retrouver les deux bouts. Aujourd’hui, l’insécurité empire la situation, explique Maryse Jean-Baptiste, directrice du Centre d’Education Spéciale (CES).


« Aujourd’hui, si même les écoles dites normales ne peuvent pas fonctionner dans ce climat de terreur, c’est plus difficile pour les écoles spécialisées », a déclaré Maryse Jean-Baptiste lors d’une rencontre chez elle à Pacot, à Port-au-Prince.
Selon un document de fiche technique qu’elle a partagé au cours de la rencontre, le CES recevait avant 3000 enfants par an dont 1500 à déficience intellectuelle avec retard de développement, 1000 qui ont souvent des incapacités multiples dues à des lésions cérébrales et d’autres qui ont été atteints d’épilepsie.


« Toutes ces déficiences influent sur les apprentissages des enfants qui devront les aider à accéder à un minimum d’autonomie », dit Ghislaine Thomas, une autre responsable du CES, qui se plaint du mauvais fonctionnement du centre en raison de la situation d’insécurité du pays et le manque de financement.
Ni la SHAA ni le CES ne peuvent aujourd’hui assurer leur fonction d’accompagnement et d’encadrement des personnes handicapées que ce soit sur le plan éducatif ou sur le plan de renforcement de leur autonomie.


Face à la situation devenue plus pire avec la violence des groupes criminels, les responsables se montrent très critiques vis-à-vis des autorités haïtiennes, selon eux, qui n’assurent pas la sécurité des handicapés.

Juhakenson Blaise
blaisejubensky@gmail.com

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