Ne blâmons pas les lycéens ! Indexons l’inexistence de l’État !

La violence exercée par les élèves de lycée sur le collège Canado-Haïtien, est provoquée par l’irresponsabilité du pouvoir en place, mais aussi par notre indifférence et notre cynisme à l’endroit du sort de l’autre.

Depuis quelques temps l’éducation en Haïti est stratifiée. Elle s’opère à plusieurs échelles, se fait à plusieurs vitesses. Les élèves des écoles publiques sont livrés à eux-mêmes, privés de conditions décentes pour leur apprentissage. Les établissements scolaires publiques sont en piteux état, les conditions sanitaires sont nauséabondes, en d’autres termes les espaces publics d’apprentissage sont négligés. De plus, il y a le problème récurrent :  » l’absence des professeurs dans les salles de classes « .

Ces derniers sont marginalisés, mal payés, négligés, ils sont réduits à des moins que rien. Pourtant, ce sont eux les moteurs de l’éducation. Ce sont malheureusement des incompris. Les professeurs sont constamment confrontés au problème de « salaire de misère » non versé, au retard permanent de leur rémunération et au taux de change flottant qui ridiculise la gourde constamment par rapport au dollar. Ils assistent avec impuissance à la dégradation de leurs conditions matérielles d’existences.

Pour exiger de l’État de meilleures conditions de travail et l’amélioration de leurs conditions de vie, ils abandonnent les salles de classes, et pénalisent du même coup les élèves. Ces derniers épuisés par l’irresponsabilité répétée de l’État et l’indifférence de la société, du ministère de l’éducation nationale et des écoles privées qui fonctionnent tranquillement sans se soucier de leur sort, sont obligés de recourir à la violence pour se faire entendre.

Le recours à la violence est devenu en Haïti un moyen de résolution de conflits. Quand l’État qui est le garant de la société s’érige en prédateur pour l’affaiblir, les citoyens n’ont d’autres solutions que la résistance. Quand la société à son tour se rend complice des agissements malsains de l’État comme c’est le cas aujourd’hui en Haïti, les victimes se voient obliger de faire entendre leurs voix par les moyens qu’ils jugent nécessaires. Les exactions survenues hier à Turgeau sont là résultante de l’inexistence de l’État, de notre individualisme à outrance et de notre passivité à l’endroit du pouvoir en place et de notre échec collectif.

Qui se préoccupe de la situation délétère permanente dans laquelle pataugent les élèves des écoles publiques, l’État? Non. Ça fait longtemps que l’Etat haïtien ne se préoccupe pas du sort des masses. Qui d’autres s’en préoccupent du sort des élèves des écoles publiques ? Personne. Les élèves sont les seuls à pouvoir forcer l’État à s’en occuper, ne serait-ce que provisoire. Les élèves de lycée où des autres écoles publiques subissent continuellement la violence institutionnalisée de l’État, donc si leurs actions sont dites violentes, elles sont toutefois provoquées.

Le collège Canado-Haïtien n’est pas le premier à faire les frais de l’irresponsabilité de l’État, il n’est pas le premier à subir des jets de pierres, à avoir des vitres brisées par les élèves de lycée. D’autres écoles de la place par le passé ont déjà été confrontées à de pareilles situations.

La violence ne cessera pas en Haïti, tant que l’État n’assume pas ses responsabilités, la violence ne cessera pas tant que nous autres qui ont les moyens de mettre nos enfants dans des écoles congréganistes, dans des écoles 5 étoiles ne comprennent pas que les enfants des lycées, des écoles nationales et de bien d’autres encore ont aussi droit à une éducation décente et que nous avons la responsabilité de mener une lutte collective pour un changement qui prend en compte les besoins de tous et de toutes. Sinon nous mourrons tous, pour répéter Jacques Roumain

Ricot Saintil / HIP

Crédit Photo: Nouvelliste

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