8 mars : Rosy Auguste Ducéna, une vie dédiée à la défense des droits humains

Née à Port-au-Prince d’une fratrie de 10 enfants, le 23 avril 1979, Rosy Auguste Ducéna travaille comme défenseure de droits humains depuis 20 ans. Mariée et mère de deux enfants, elle occupe depuis 2018 le poste de Responsable de programmes au Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), l’un des plus importants organismes de défense des droits humains en Haïti. Passionnée de lecture depuis son plus jeune âge et blagueuse à ses heures, Rosy Auguste Ducéna a un amour effréné pour l’intelligence. Retour sur le parcours d’une militante de droits humains qui s’est forgée une place dans le milieu par sa fougue et sa détermination.

Tout a commencé vers les années 2000 à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE). « J’ai intégré, en 1999, la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE). J’étais encore en deuxième année d’études lorsque j’ai participé à une visite de la Prison civile de Port-au-Prince », s’est-elle remémorée. « Horrifiée par ce que j’ai vu dans la prison et par les conditions de vie des détenus, j’ai commencé à réfléchir sur ce que pourrait être mon engagement pour la défense des personnes privées de liberté » a-t-elle expliqué.

Alors qu’elle était en dernière année d’études, Rosy Auguste Ducéna s’était déjà engagée dans la lutte en faveur de la défense des droits humains. « Le 8 octobre 2002, ma demande d’intégration à la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) aujourd’hui RNDDH est acceptée et j’ai été admise à titre de stagiaire. Après 3 mois de stage, j’ai été engagée à titre d’assistante au programme de monitoring. J’étais alors en 4ème année à la Faculté » a-t-elle indiqué. Rosy Auguste Ducéna reconnait que cela n’a pas été toujours facile. « Il y a aussi eu des difficultés liées à des certitudes que j’avais qui au fur et à mesure tombaient : les valeurs reçues de mon éducation, mes convictions personnelles, ont changé au fil des ans mais, ceci n’a pas tout le temps été facile » a-t-elle précisé.

« La pression est énorme tant à l’extérieur qu’à l’intérieur »

Comme défenseure de droits humains, Rosy Auguste Ducéna a travaillé sur des dossiers politiques très médiatisés et qui engendrent des pressions. A la question comment gérer tout cela, elle a avoué que parfois « la pression est énorme tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ». « J’ai la chance d’avoir dans ma vie un conjoint extrêmement tolérant, d’être entourée de personnes qui comprennent mon travail et d’avoir des enfants encore en bas-âge – qui se contentent d’être heureux d’entendre la voix de leur maman à la radio – sans vraiment comprendre de quoi elle parle (Rires) », s’est-elle réjouie. « Mais, il y a quand même eu des dossiers médiatisés qui n’ont pas fait l’unanimité dans la manière dont mon entourage immédiat les a perçus ou compris. Et, dans ces cas-là, la pression est énorme tant à l’extérieur qu’à l’intérieur » a-t-elle précisé.

Insatisfaction après 20 ans de carrière

« M’imposer a d’abord été possible parce que dès que j’ai prouvé mes capacités, j’ai eu les coudées franches pour travailler », a-t-elle raconté. « Ma plus grande insatisfaction reste le non-respect des droits des détenus-es parce qu’en fait, en 2002, avec la fougue qui caractérise la jeunesse, j’étais convaincue que j’allais pouvoir changer les choses – même si on est quand même loin de ce qu’était la situation d’alors » a-t-elle poursuivi.

Rosy Auguste Ducéna regrette que le contexte politique ne favorise pas le travail des défenseurs des droits humains. « À cela s’ajoute une instabilité sociopolitique chronique, le remplacement de dossiers par d’autres dans l’actualité, l’absence de continuité de l’État dans les prises de décisions manifestée par des changements dans les politiques à chaque fois qu’un nouveau ministre est nommé, etc. Il s’agit de difficultés qui ne facilitent pas la tâche aux militants-tes des droits humains », a-t-elle cru.

Par-dessus tout, Rosy Auguste Ducéna se réjouit que certains dossiers sur lesquels elle a travaillé ont permis de lever le voile sur des violations de droits humains. « Ce sont aussi 20 années de satisfactions personnelles. Certains dossiers sur lesquels j’ai travaillé ont permis d’attirer l’attention sur des situations de violation de droits humains qui peut être n’auraient jamais été dénoncées s’il n’y avait pas eu des victimes courageuses qui n’ont pas voulu se laisser faire », s’est-t-elle félicitée.

« Le contexte actuel est très difficile pour le combat pour le respect des droits des femmes »

Rosy Auguste Ducéna a souligné qu’elle a une attention particulière pour les femmes victimes de violences sexuelles compte tenu du sexisme dont elles font l’objet dans la société. « J’ai travaillé, au cours de ma carrière, sur de nombreux dossiers relatifs à des agressions sexuelles. Et, étant issue d’une famille nombreuse avec une pléthore de sœurs et de nièces, j’ai malheureusement souvent pensé, en recevant des victimes de violences sexuelles, que cela aurait pu être un membre de ma famille », a-t-elle déclaré arguant que « les femmes vivent dans une société patriarcale qui leur est hostile et qui leur demande d’expliquer les circonstances dans lesquelles elles sont victimes, pour justement leur faire retomber la faute dessus ». Toutefois, la défenseure de droits humains a affirmé avoir toujours essayé de rester professionnelle.

Questionnée sur le combat pour le respect des droits de la femme en Haïti, l’avocate de 43 ans estime que « le terrain est maintenu en état de fertilité pour les violations des droits des femmes ». Elle a précisé que « la violence généralisée est perpétrée de manière telle que certains sévices sont féminisés ». « Une femme enlevée – comme peut aussi l’être un homme – sera violée ou menacée d’être violée. Dans les quartiers défavorisés, en plus du risque d’être assassinée dans les guerres hégémoniques – comme n’importer quel homme -, une femme est violée et bastonnée », a argumenté cette femme qui a travaillé sur des dizaines de rapports sur les violences dans certains quartiers pauvres de Port-au-Prince. « À côté de cette insécurité extérieure, il y a aussi tous les risques auxquels sont exposées les femmes en milieu domestique, en milieu du travail, à l’école, à l’université : le contexte actuel est très difficile pour le combat pour le respect des droits des femmes », a-t-elle reconnu.

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