ANALYSE JURIDICO-POLITIQUE SUR LA FIN DU MANDAT DE JOVNEL MOÏSE LE 7 FÉVRIER 2021. PAR KEN-RICK FERNANDO JOSEPH, JURISTE, TRIBUN CONTEMPORAIN

Le deuxième lundi du mois janvier 2020, le Président Jovenel Moïse a constaté la caducité du parlement . Depuis lors, un débat est lancé autour de la fin du mandat du président de la République : 7 février 2021 ou 7 février 2022? Que dit la loi ?

Avant d’aborder la dimension légale de la question, nous évoquerons un peu les notions de démocratie constitutionnelle, d’échéance constitutionnelle tout en considérant le contexte socio-politique actuel.

De la démocratie institutionnelle.-
En l’absence d’une définition unanimement admise, on peut présenter la locution « démocratie constitutionnelle » (ou « démocratie par la Constitution ») comme un système politique démocratique fondé sur le respect d’une constitution formelle qui se trouve au sommet de la hiérarchie des normes (Cf. constitutionnalisme). Phénomène relativement récent, la démocratie constitutionnelle s’est imposée comme une forme nouvelle et moderne de la démocratie .

Dans ce système politique, la démocratie, la protection des droits des citoyens et le respect de la Constitution sont garantis par l’instauration d’une justice constitutionnelle placée, de fait, au sommet de l’ordre juridictionnel . Elle est incarnée en France par le Conseil constitutionnel. La loi n’est plus considérée comme infaillible, mais comme devant être soumise à la Constitution et contrôlée par le juge constitutionnel, qui est l’un des acteurs influents de la démocratie. Les parlementaires ne sont plus l’équivalent du peuple souverain, mais en sont des délégués élus. Le juge constitutionnel s’assure que les textes de loi sont conformes à la volonté du peuple souverain qui s’exprime dans la Constitution .

La démocratie constitutionnelle permet notamment, entre deux échéances électorales, aux minorités d’intervenir dans la formation de la volonté générale en faisant prendre en considération leurs points de vue dans les lois et les décisions du pouvoir (en France, par la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité ).
« La démocratie constitutionnelle définit un au-delà de la représentation non parce qu’elle la supprimerait mais parce qu’elle la transforme et élargit l’espace de participation populaire en inventant des formes particulières permettant à l’opinion d’exercer un travail politique : le contrôle continu et effectif, en dehors des moments électoraux, de l’action des gouvernants. »
(Dominique Rousseau – La justice constitutionnelle en Europe – 1998)

La première élection démocratique depuis l’adoption de la constitution de 1987 a eu lieu en 1990, d’où l’échéance constitutionnelle commence en 1991 après l’élection présidentielle du Président Jean Bertrand Aristide.
Quid de l’échéance constitutionnelle.-
L’échéance constitutionnelle c’est une appellation pour déterminer le mandat des élus et harmoniser le temps constitutionnel par rapport aux calendriers électoraux, c’est-à-dire, une méthode de comptage pour rester dans ladite échéance même en cas de coup d’état ou de caducité du parlement . La vie politique haïtienne illustre très bien cet état de fait. Nous allons le démontrer.

L’échéance constitutionnelle en Haïti est quinquennale . Elle est donc ainsi répartie ainsi 1991….1996….2001…2006…..2011….2016…2021….2026 ainsi de suite, à l’intérieur des différents quinquennats il y a eu des instabilités politiques, des coups d’Etat, des coups de forces, des gouvernements provisoires, mais cela n’empêche qu’on reste dans l’échéance. Pour respecter, comme on dit, le temps constitutionnel.

Les faits parlent d’eux-mêmes.-
A la suite du Coup d’État du 30 septembre 1991, des gouvernements provisoires se sont succédé jusqu’au retour du président Aristide en 1994. Ce dernier a continué son mandat et a passé l’écharpe au Président Préval, en 1996 . En 2004, même scénario, le Président Aristide doit laisser le pouvoir à deux ans de la fin de son mandat constitutionnel. Une transition de deux ans dirigée par le professeur Boniface Alexandre se met en place. Des élections seront organisées en 2006 desquelles Monsieur René Garcia Préval est sorti Président. En 2011, Michel Joseph Martelly est élu pour un mandat de cinq (5) ans. Il prend ses fonctions le 14 mai, et remet l’écharpe le 7 février 2016 conformément au vœu de l’article 134-2 de la constitution haïtienne amendée le 9 mai 2011. Incapable de dégager un consensus à l’organisation de nouvelles élections, le président Martelly signe un accord politique avec les acteurs politiques qui permettra au président du sénat de l’époque M. Jocelerme Privert d’accéder à la Magistrature suprême de l’Etat avec une feuille de route précise, celle de « continuer le processus électoral de 2015 avec le décret électoral du 2 mars 2015, et d’assurer une transition d’une année (14 février 2016 – 7 février 2017) ». Dans la logique constitutionnelle et au regard des dispositions (à préciser) du décret électoral, l’élu qui sortirait de ces élections, son mandat arriverait à terme le 7 février 2021.

Sur le fondement de la loi électorale et de la Constitution.


On le disait au début, le Président Jovenel Moïse a appliqué l’article 239 du décret électoral du 2 mars 2015 et l’article 95 alinéa 2 pour constater la fin du mandat des sénateurs. Il est de principe que lex una est omnibus (la loi est une pour tous). Garant de la bonne marche des institutions selon l’article 136 de la Constitution, le Président doit veiller au respect et à l’exécution de la charte fondamentale et à la stabilité des institutions. Il doit agir dans le respect du décret électoral du 2 mars 2015.
De plus à l’article 239 , nous lisons ceci : « Afin d’harmoniser le temps constitutionnel et le temps électoral, les élections organisées en dehors du temps constitutionnel, pour quelques raisons que ce soit, les mandats des élus arrivent à terme de la manière suivante:

a) Le mandat du Président de la République prend fin obligatoirement le sept (7) février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction;
b) Le mandat des Sénateurs prend fin le deuxième lundi de janvier de la sixième année de leur mandat quelle que soit la date de leur entrée en fonction, sous réserves de l’application des articles 50.3 à 50.7 du présent Décret;
c) Le mandat des Députés prend fin le deuxième lundi de janvier de la quatrième année de leur mandat quelle que soit la date de leur entrée en fonction;
d) Le mandat des élus des collectivités territoriales prend fin au cours du mois de janvier de la quatrième année de leur mandat.
Et l’art 134-2 de la constitution de 1987 amendée le 9 mai 2011 de préciser : « l’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche du mois d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel ».
Le Président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne pourrait avoir lieu avant le 7 février, le Président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection.


L’article 134.3 interdit expressément à un Président de bénéficier d’une prolongation de mandat. En conséquence, si le Président Jovenel Moïse reste au pouvoir jusqu’au 7 février 2022, il sera réputé bénéficiaire d’une sixième année de mandat. Les tenants de l’approche calendaire de la durée du mandat présidentiel – temps de calendrier – ne seront pas d’accord avec ce point de vue, car leur obsession c’est de compléter une durée absolue de cinq ans, sans tenir compte des bornes temporelles posées par la constitution, qui sont solennelles et d’application stricte. Puisque l’année de l’élection du président en fonction est l’année 2016, son mandat a commencé à courir le 7 février 2016. L’esprit et la lettre de l’article 134.2 de la constitution étant suffisamment clairs sur cette question.

Extrait d’un exégèse fait par le professeur Cleberson Jean Louis, Publié le 2020-06-24 | Le Nouvelliste

Au delà des considérations juridico-politiques sur la fin du mandat de Jovenel Moïse, le rapport de force sera t-il déterminant ?

La politique est avant tout un espace où se heurtent les groupes d’intérêts dans l’espoir d’imposer à tous, par la force, leur propre projet.
Dans les pays tiers-monde dont Haïti, il y a plusieurs rapports de forces dans la pratique politique comme le rapport de force par la mobilisation, le rapport de force par la négociation et le rapport de force géopolitique/international, tous ces rapports finiront par la négociation.

Le rapport de force par la mobilisation consiste entre autres la capacité que possède l’opposition politique, des groupements de la société civile et les organisations de base à gagner les rues à travers des manifestations, spontanées et des rassemblements afin de forcer le pouvoir en place à respecter ses engagements envers la population ou encore à laisser le pouvoir si rien n’est fait comme ça a été le cas en 1986 et 2004… Avoir le rapport de force par la mobilisation est très déterminant dans un pays tiers-monde ça vous donne la possibilité de négocier et avoir le rapport de force géopolitique/ international dépendamment de l’appréciation du dossier au niveau international.

Le rapport de force par la négociation c’est la capacité que possède les acteurs politiques à faire le dépassement de soi dans un accord politique gagnant gagnant entre eux pour mettre fin à la crise à laquelle le pays fait face depuis plusieurs années, à cette phase où nous sommes, aucun des acteurs politiques ne constituent pas une force véritable dans la crise actuelle d’où la négociation est impossible sans la mobilisation des rues, si le pouvoir ne sent pas réellement en danger, li ne négociera jamais.

Le rapport de force géopolitique/international consiste à ces différents groupements de faire un plaidoyer auprès des organisations internationales OEA, ONU et les états Unis, ce que fait le pouvoir actuellement à travers son Ministre des affaires étrangères Mr Claude Joseph, le seul moyen pour les autres groupements comme la société civile, l’opposition politique, à y parvenir, c’est de construire leur force par la mobilisation, si non Rien ne sera fait dans les jours à venir. Par contre, 7 février 2021 serait un jour sombre et occasionnerait peut être le chaos, à qui en profite ?

Les dilapidateurs des fonds petro caribe préféraient réduire le pays en Somalie que de remettre le pouvoir, alors le peuple haïtien doit prendre le destin et l’avenir de leurs enfants en main.

Au delà des considérations juridico-politiques le rapport de force sera déterminant sur la fin du mandat de Jovnel Moïse le 7 février 2021, peuple haïtien contre le pouvoir en place, mais surtout le rapport de force par la mobilisation.

Comme disait Léopold Jean Dominique
<< cela fait trop de temps que cela dure, il faut que celà cesse, il faut que les choses changent ici >>

KEN-RICK FERNANDO JOSEPH Juriste, Tribun Contemporain

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