La crise politique haïtienne et le « Forcing diplomatique » du 11 mars 2024 : un cas inédit de résolution de conflit, décortiqué par Hancy Pierre

Dans l’histoire politique haïtienne, la résolution des conflits a surtout privilégié la force militaire pure et simple par l’entraide de forces étrangères. Pour ce qui concerne les conflits survenus après l’assassinat du président Jovenel Moise le 7 juillet 2021, d’une demande expresse aux Nations Unies de l’intervention d’une force robuste par le Conseil des ministres dirigé par le premier ministre Dr Ariel Henry le 3 octobre 2022, il se définit une passerelle au “Forcing diplomatique “ du 11 mars 2024.Ce qui a culminé à la démission du premier ministre Dr Ariel Henry empêché à Puerto Rico pour donner suite au projet de mise en place d’un collège présidentiel pour assurer la transition à l’organisation d’élections libres. C’est un cas inédit car différent du “Roll back” à Grenade quand les Etats Unis agissaient dans l’ombre de l’Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale (OECO)pour évincer au pouvoir le socialiste Maurice Bishop à la Grenade le 21 octobre 1982.Trois autres cas s’inscrivent dans l’instrumentation du Parlement en appui aux forces militaires et de police.Ce, respectivement en Honduras contre Manuel Zelaya le 28 juin 2009; au Vénézuela contre Nicolas Maduro le 26 juin 2019 et l’appui à Juan Guaïdo et en Bolivie contre Evo Morales le 8 novembre 2023.

L’option du” Forcing diplomatique” du 11 mars 2024 tient lieu à ne pas contenir (en référence au containtment) des démêlees politiques liées aux actuels conflits en Haïti tout en s’asssurant d’alliances et de partenariats en la circonstance.En ce sens , outre les démarches des Etats Unis et de l’Equateur , c’était le tour du Conseil de sécurité des Nations Unies dans l’adoption d’une résolution relative au déploiement d’une Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) dont la République du Kenya a sollicité le leadership.La CARICOM a été un pion clé pour légitimer le processus de médiation et accompagner la Mission.D’autres acteurs ont eu aussi leur partition dont le Canada, la France, l’Allemagne, l’Union Européenne, le Japon et la République dominicaine.

La CARICOM a fait montre de persuasion dans ce processus à pouvoir aboutir à un large consensus des protagonistes dans le cas haïtien.Ce n’est pas le même modèle apparenté à l’instrumentation de l’OECO à l’encontre de la Grenade en 1982.En effet, tout s’ est amorcé quand le premier ministre d’Antigua et de Barbuda Gaston Brown a suggéré en date du 27 février 2024 la démission du premier ministre haïtien le Dr Ariel Henry lors de la 46è réunion de la CARICOM (https://haitinews2000.net consulté le 11 mars 2024). D’autres évènements se sont succédés dont l’interdiction du premier ministre Dr Henry d’atteindre le territoire haïtien à partir d’un transit en République dominicaine à bord d’un avion privé le 5 mars 2024 (https://www.junot.ht (consulté le 11 mars 2024).

Enfin, lors de la rencontre du lundi 11 mars 2024 à la Jamaïque des membres de la CARICOM et alliés tels les Etats Unis, le Canada, la France et l’ONU assistée par visioconférence par des acteurs issus de partis politiques et de membres de la société civile en Haïti , et il ressort l’entente autour de la démission du premier ministre haïtien pour faciliter le bon déroulement d’une transition dans la formation d’un gouvernement de salut public inclusif.

La CARICOM est un bloc subrégional issu du Traité de Chaguaramas du 4 juillet 1973. Cette démarche autonome des acteurs étatiques de la Caraïbe a su s’inscrire dans une quête identitaire. Convoitée certes par les anciennes métropoles notamment l’Angleterre et la France puis des Etats Unis, elle se définit une marge de manœuvre dans ses relations avec ces dernières. Plus d’un assimile cette organisation à un pion de la politique des Etats Unis dans la région en dépit des efforts d’autonomie de la plupart de ses membres. Les Etats Unis d’Amérique qui privilégient la démarche bilatérale dans leur diplomatie tâtonnent quelques fois dans une perspective pragmatique vers la voie multilatérale.

Tout se joue entre des tentatives d’instrumentalisation et la collaboration ouverte pour s’assurer d’un rôle de persuasion auprès des Etats de l’entité régionale enclins à des conflits et à ce titre nous tenons à pointer des cas de Grenade, de Guyana et Vénézuela, Haïti à la déposition du président Jean Bertrand Aristide en 2004, les différends survenus en 2013 entre République Dominicaine et Haïti dans la résolution concernant l’apatridie des dominicains d’ascendance haïtienne depuis 1929, entre autres.

L’incompréhension et l’indifférence à l’égard des voisins de la Caraïbe n’ont pas su basculer la position de médiateur de la CARICOM.Dans cette lignée,nous évoquons des notes défavorables dans l’opinion publique qui sous estiment la capacité et l’intégrité de cette entité.Il s’agit de vues déformées concernant des voisins considérés comme des Etats dépendants des Etats Unis, de pions négligeables ou de petits pays par leur importance en superficie.Nous voudrions souligner que la grande majorité des pays de la CARICOM ont une marge dans leur politique diplomatique en s’assurant d’une autonomie dans leur relation avec la Chine populaire par exemple.Ils ont contesté la plupart des agissements de grandes puissances tels le positionnement dans la guerre Russie -Ukraine,l’appui au Vénézuela et à Cuba alors déconsidérés par les Etats Unis.

Entre l’interventionnisme et la collaboration au nom du réalisme politique s’interpose le multilatéralisme d’opportunités délaissé depuis le règne du président des Etats Unis Jimmy Carter (1976-1979) qui a promu des relations d’ouverture avec la région de la caraïbe en lieu et place de la logique originelle d’arrière -cour .

La République d’Haïti , depuis sa participation comme membre à part entière de la CARICOM ,se situe dans le sillage de la communauté (la CARICOM) que celui du marché (le CARICOM).Il convient à l’Etat haïtien de marquer des pas vers l’intégration régionale à pouvoir contribuer et bénéficier principalement des avantages prévus dans le cadre du commerce, de la promotion de l’industrie, du tourisme, des infratsructures et la régularisation des procédures en migration et de libre marché .A ce niveau , des entorses sont à surmonter dont la question des tarifs douaniers presque nuls dans le cas d’Haïti non alignés à ceux de la CARICOM qui se veulent un rempart pour la protection face à d’autres marchés.

Il est un fait que la Jamaïque ne cesse de jouer un rôle déterminant comme carte des Etats Unis dans la région tout en considérant la partition de Puerto Rico qui s’est toujours considéré comme une référence en matière de développement régional.Ce qui nous fait entrevoir la division régionale dans le système international ainsi que la question des hiérarchies dans lequel système pour apprécier la crise politique haïtienne actuelle.
Hancy PIERRE, spécialiste en Relations Internationales

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