Témoin d’une tuerie perpétrée par le G-9, Dieu-Nalio Chéry et sa famille forcés de quitter Haïti

Le talentueux photojournaliste haïtien, Dieu-Nalio Chery, a décidé de tourner le dos à Haïti. Le journaliste de l’agence américaine Associated Press (AP) faisait l’objet de serieuses menaces venues de certains puissants Chefs de gangs de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Le lauréat du Prix Robert Capa 2020 était dans le viseur des bandits armés, après avoir été témoin de plusieurs exactions, dont une tuerie perpertrée par les membres du G-9. Interview avec celui qui a fermé la lentille de sa camera sur Haïti, et quitté le pays avec sa famille.

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Il est le seul reporter photographe haïtien a avoir capturé ces images. Nous sommes le 17 mars 2021. Sur la route de l’Aéroport, des policiers de la structure dénommée « Fantom 509 » défilent et crachent leurs frustrations. Ils laissent leurs traces, comme à l’accoutumée. Au milieu de la foule, Dieu-Nalio Chéry, qui cherche la photo du jour comme c’est le cas à chaque mouvement de protestation. Après la libération de force d’au moins 2 policiers, les Fantom 509, arrivés devant les locaux du concessionaire d’automobile Nissan, ont fait feu et investi l’espace. Et c’est le début des scènes de pillage.

« A ce moment, j’ai laissé pour me rendre devant le batiment de l’entreprise Casami qui était elle-même en train d’être pillée. Je me suis retourné vers Auto Plaza, où des hommes armés de Simon Pelé, membres du G-9, faisaient leur apparition », raconte Dieu-Nalio Chéry. Ce dernier explique que ces bandits ont pénétré l’espace et criblé de balles plusieurs personnes. « Mwen te wè anpil moun ap kouri. Sak pran bal. Sak mouri sou plas. Mwen te wè tou plizyè nèg ak zam kap trennen kadav travèse lari a. Pandan tan sa a, mw kontinye pran foto », souligne le photojournaliste de l’Associated Press, le seul à être sur place.

Les gangs armés n’étaient pas trop loin. Dieu-Nalio se sentait en danger et a laissé rapidement l’espace, accompagné de son chauffeur de Taxi moto. Les clichés prises lors de cette tuerie ont été publiées le même jour par l’agence americaine AP, où il travaille depuis 2012.

Suite à ces evènements, le photojournaliste affirme être recherché par des puissants Chefs de gangs, offusqués après la publication de la photo. Un confrère lui a mis au courant. « Selon ce confrère, ces hommes armés cherchent même à retracer ma maison », ajoute-t-il. Depuis, Chéry et sa famille se sont mis à couvert, pour échapper à toutes éventuelles attaques. Le photojournaliste est absent dans tous les mouvements de rues. « J’ai du laisser ma maison pendant plusieurs semaines. Quand quelqu’un frappe à la porte, ma femme est sous le choc et ne veut pas ouvrir. C’était une situation inquiétante », a-t-il dit.

Le 12 mai 2021, la voiture de Dieu-Nalio Chéry a été attaquée par des hommes armés sur la nationale #1, dans la commune de Cité Soleil. Le véhicule avait à bord Yandy Frantz Fidèle, journaliste à Radio Ibo, l’un de ses amis. Une balle a atteint le pare-brise avant de la voiture. Suite à cette attaque, le photojournaliste se sentait en danger et commencait à prendre très aux sérieux les menaces. Stressé, Dieu-Nalio a décidé de quitter le pays, accompagné de sa femme et de ses 2 filles.

« Se grav pou yon pwofesyonèl paka rete nan peyi w pou w evolye. Se tris… Sa fèm mal anpil ! », déclare-t-il, la voix remplie d’émotions.

Des clichés qui dérangent

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Il est reconnu pour ses photos prises dans des conditions difficiles, voire dangereuses. Avant les menaces de mort, Chéry n’avait aucune frontière. Le co-lauréat du Prix Philippe Chaffanjon 2019 chasse les clichés, même dans les fiefs des Chefs de gangs de Port-au-Prince. Cependant, ces photos qui traduisent les réalités telles qu’elles sont dérangent souvent certains groupes armés.

C’est le cas des clichés prises quelques heures après le massacre de La Saline en novembre 2018. « Mwen te pran foto kochon kap manje kadav, foto bandi kap travèse ak zam… Gen bagay mwen wè, lòt jounalis pa wè ! », confie le photojournaliste.

Aussi, Dieu-Nalio Chéry est souvent témoin de sérieux affrontements armés entre gangs rivaux. Ses photos sont souvent utilisées dans des médias locaux et étrangers. « Ces photos ne plaisent pas à des gens. Je le sais. Mais je fais mon travail », déclare le finaliste du Prix Pulitzer 2020, catégorie « Breaking News Photography ».

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2019à 2021, des années difficiles pour Dieu-Nalio

Au cours de l’année 2020, Dieu-Nalio a été l’un des travailleurs de la presse à avoir reçu beaucoup plus de distinctions, mais aussi, le journaliste à être victime beaucoup plus de fois. En septembre 2019, il est sorti blessé lors d’une échauffourée entre un sénateur et des militants de l’opposition sur la cour du Parlement. Dieu-Nalio a été blessé au visage par un fragment de balle et emmené d’urgence à l’Hôpital. Quelques jours plus tard, il a subi une opération chirurgicale en République Dominicaine, et a repris les caméras environ 1 mois après.

Le 10 février 2021, le reporter photographe a ete à nouveau victime lors d’un mouvement de protestation à Port-au-Prince. Il a été blessé à la jambe, après un rebond d’une grenade lacrymogène. Il a été transporté d’urgence dans un centre hospitalier de la capitale pour prendre les soins que nécessite son cas.

Pour l’heure, Dieu-Nalio Chery qui a vu ses photos classées souvent parmi les meilleures à travers le monde, est contraint de laisser Haïti sous pression. Le talentueux photojournaliste est actuellement loin du terrain, loin de ses collègues, loin de son pays

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