Société : abusées, menacées de mort, certaines femmes des quartiers gangstérisés perdent tout goût à l’existence

Les gangs armés qui contrôlent certains quartiers de la région métropolitaine de Port-au-Prince et certaines villes de province ne cessent de prouver leur pouvoir, voire leur toute-puissance. Une nouvelle pratique s’installe depuis quelques temps dans les zones dirigées par les bandits. En effet, les caïds se donnent le droit de choisir la fille ou la femme de leur choix pour partenaire sexuelle, faisant ainsi fi de leur consentement. Une pratique n’est pas l’apanage d’un groupe de gangs en particulier.


Si pour les garçons et les hommes les bandes criminelles les choisissent ou les forcent à devenir leurs soldats, pour les filles et les femmes, elles sont forcées de jouer le rôle de concubines des malfrats qui contrôlent leurs zones. Face à cette pratique basée sur la contrainte, bon nombre de filles et de femmes dans les quartiers dirigés par les gangs armés sont obligées d’y céder ; celles qui s’y opposent sont obligées de fuir. En revanche, celles qui restent parce qu’elles n’ont nulle part où aller sont soit violées, soit torturées, ou pire tuées par les criminels.


La jeune Maryse Estainvil (nom d’emprunt) est âgée de 19 ans. Elle habitait à Laboule 12 (Pétion-ville), un quartier contrôlé par des gangs armés. Elle s’est trouvée dans l’obligation de laisser la zone, pour avoir été approchée par un gangster ayant sollicité d’elle un « rendez-vous ». Apeurée, elle a dû prêter l’oreille à ses insistances.
« Je me trouvais en chemin pour aller au marché, quand soudainement un homme m’a abordée. J’avais vraiment peur, puis il m’a dit que je suis jolie et m’a déclaré qu’il aimerait que je sois sa petite amie, car il avait les yeux rivés sur moi depuis plusieurs jours », confie-t-elle. L’homme lui a finalement fait des « déclarations d’amour » ! « À cet instant, je n’avais qu’une idée en tête : quitter immédiatement la zone pour éviter que moi et ma famille soient victimes ». Le pire, elle ne pouvait pas porter plainte contre lui, en dépit des scènes de harcèlement à répétition. Après quelques jours, sur les conseils de ses parents et de ses proches, elle a dû laisser la zone pour s’installer chez sa tante par peur d’être violée, car, soutient-elle, l’homme en question la surveillait quotidiennement. Son copain ne pouvait plus venir dans la zone, car le gangster s’y était opposé après avoir fait part au malfrat de sa relation amoureuse avec quelqu’un. Le gangster lui avait intimé l’ordre d’être dans sa vie sous peine de la tuer.
L’histoire de Maryse est loin d’être anodine, voire unique. Les récits de ces filles et femmes qui se voient forcées de se mettre en relation avec des gangs armés sont multiples ; les uns plus funestes que les autres. Toutefois, si certaines ont refusé catégoriquement les « propositions indécentes » des hommes armés, d’autres par contre ont cédé aux avances, car, selon elles, tout refus d’avoir une quelconque relation avec un gang est synonyme de mort certaine.


Piégées par la précarité


Saphia Jean-Marc (nom d’emprunt) a vécu une histoire similaire. Son grand frère explique que sa sœur cadette qui est âgée de seulement 25 ans, se trouvait dans l’embarras du choix, mais finalement elle a choisi de se faire complice des gangs armés juste pour protéger sa famille et par peur, vu que la situation était chaotique.
« Ma sœur m’a affirmé un jour qu’elle était la copine d’un des chefs de gangs. J’ai été très étonné. Elle m’a avoué qu’elle était obligée, car c’est le seul moyen de protéger notre famille parce qu’on n’avait nulle part où aller quand les malfrats ont envahi Thomazeau », raconte-t-il, arguant que sa sœur éprouve des remords d’avoir fait cette concession.


Des filles se retrouvent involontairement dans des relations sentimentales avec des gangs armés qui terrorisent en toute impunité la population ; d’autres dans l’obligation juste pour de l’argent, vu le niveau de leur précarité. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, on peut remarquer deux individus armés en train de frapper une jeune dame à coup de bâton jusqu’au sang. Raison : cette dernière aurait eu une relation avec le chef de la bande et ainsi qu’avec un soldat. « J’ai un enfant qui est souffrant, ne me tuez pas ! Ayez pitié de moi ! Je vous demande pardon messieurs ! Je n’en peux plus, vous allez me tuer », criait la dame qui est impuissante et sans force face aux bourreaux qui la maltraitaient et l’humiliaient.
Agée de 19 ans, une autre jeune fille requérant l’anonymat a eu une étroite relation avec un puissant chef de gang très connu. Elle dit avoir été avec le caïd juste pour pouvoir répondre à ses besoins, car ce dernier possède de l’argent et elle se trouvait dans une situation désespérée. Elle raconte qu’elle était tombée enceinte quelque temps après, l’enfant est âgé de 3 ans à présent. La jeune maman, voulait s’échapper de la zone, mais le malfrat le lui interdisait. Finalement un jour, elle a pris la fuite. Elle avoue que le bandit refuse de prendre sa responsabilité envers l’enfant, toutefois il reconnaît que c’est son fils. Elle regrette aujourd’hui cette expérience, mes la satisfaction des besoins les plus primaires l’y obligeait.

Partir ou rester : le « choix résilient » des femmes et des filles
Questionnée à ce sujet, la militante féministe Sabine Lamour croit que les femmes sont les premières grandes victimes et les plus affectées par la violence et la terreur des gangs armés. L’ancienne coordonnatrice générale l’organisation Solidarité Fanm Ayisyèn (SOFA) estime que les femmes sont piégées parce qu’il est impossible pour elles de faire un choix face à cette pratique. « Quand les gangs occupent un territoire, ils ne contrôlent pas seulement l’espace, mais le corps des femmes est malheureusement devenu leur propriété privée. Dans ce genre de situation extrêmement difficile, les femmes sont exposées à la violence sexuelle », déplore la sociologue. Elle a fait savoir que dans ces territoires, les institutions à vocation d’assurer la protection des femmes sont inexistantes. Donc, les femmes sont automatiquement transformées en proies faciles.
« Il y a des paramètres qui ne dépendent pas nécessairement de la personne qui vit dans ces quartiers. Pour ces femmes, prendre la fuite ou rester ça va au-delà d’un simple choix… Si une femme accepte, par contrainte, d’être avec un gang cela implique-t-il qu’elle soit totalement d’accord avec tous les actes posés par ce dernier ? Elle peut toujours céder, mais cela n’implique pas qu’elle est consentante pour autant », poursuit-elle.


Pour sa part, la coordinatrice de l’organisation féministe Nègès Mawon dit avoir recensé plusieurs cas de femmes convoitées par des hommes armés qui les réclament comme objet sexuel, concubines. Elle déplore le fait que ces femmes soient à la merci des gangs, qui utilise leurs armes comme outil pour développer un rapport de dominés et dominantes avec les jeunes filles et des femmes de certains quartiers.
« Il y a des femmes ou des filles qui ont choisi de leur propre gré d’intégrer des bandes criminelles. Mais, pour une certaine catégorie c’est une question de vie ou de mort. Cela va au-delà d’une question de jugement de valeur. En outre, la précarité est un grand facteur explicatif dans ce cas et très peu de femmes vivant dans ces communautés ont le choix face à ce genre de situation », déclare-t-elle.
En somme, les militantes féministes croient qu’il revient aux autorités étatiques de prendre des dispositions nécessaires et d’agir pour éviter que des membres de la population notamment les femmes se fassent complices des caïds. En ce sens, elles lancent un cri d’alarme à l’endroit des autorités concernées pour protéger et respecter le droit des femmes, arguant que dans toutes les sociétés les femmes et les enfants sont des catégories protégées et privilégiées même en temps de guerre.


Le mépris affiché par les autorités gouvernementale face à la situation de plus en plus difficile des femmes sont à la base des violations des droits de celles-ci. De 2021 à 2023, au moins 105 femmes ont été victimes de viols collectifs, a révélé le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH). Voilà une situation alarmante qui témoigne comme tant d’autres de l’absence de l’État.

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